On sait désormais que la Turquie ne fera pas partie de l’Europe. Mais fallait-il laisser une bande d’extrémistes nationalistes gréco-chypriotes le lui dire? Retour sur un ratage diplomatique emblématique.
Admirez braves gens le ballet des hypocrites! Depuis le 24 avril au soir, quand le verdict chypriote est tombé, le gratin des politiciens européens se répand sans aucune vergogne en lamentations sur la duplicité des dirigeants gréco-chypriotes.
Le commissaire européen à l’intégration, Günter Verheugen va jusqu’à déclarer qu’il a été «berné» par le président Tassos Papadopoulos. Berné? Vraiment? Un grand garçon comme lui? Mais pourquoi ne donne-t-il pas illico sa démission?
Ne savait-il pas que le vieux Papadopoulos est depuis toujours un nationaliste extrémiste? Ne savait-il pas que ce président est depuis toujours sur la brèche anti-turque? Qu’il était déjà ministre (anti-turc) en 1960?
Ce qui s’est passé ces dernier mois à Chypre est tout de même extraordinaire et figurera dans tous les manuels de diplomatie au chapitre «erreurs à ne pas commettre». Alors que le dossier chypriote est bloqué depuis la fin des années 1950, alors que l’ONU y entretient une force de paix depuis 1964, alors que Nicosie est coupée par un mur de la honte depuis 1974, l’Union européenne commence par offrir sur un plateau en or massif l’adhésion de la partie grecque à une classe politique qui n’a qu’une idée en tête, faire que les Chypriotes grecs restent entre eux.
Puis, de New York, on déclenche un processus d’unification voué par définition à l’échec puisque privé du seul moyen sérieux de pression, l’adhésion à l’Union. Pourquoi Papadopoulos et l’extrême-droite n’auraient-ils pas sauté sur l’occasion? D’autant plus qu’ils avaient le soutien du principal parti de l’île, les communistes, dont la seule raison d’être est désormais dans le monde entier le repli nationaliste. La duplicité s’oublie vite, les frontières restent…
En réalité, ce à quoi nous avons assisté le 24 avril, c’est à la fondation d’une Union européenne judéo-chrétienne excluant les musulmans. On sait désormais que la Turquie ne fera pas partie de l’Europe. On sait aussi qu’en décembre prochain, l’UE n’entrera pas en matière sur la demande d’adhésion turque. Ou que si elle venait à la faire ce ne serait que poudre aux yeux et… duplicité.
Le débat sur la Turquie est appelé prendre une grande ampleur au cours des prochains mois. Les partisans de son intégration à l’UE s’appuient sur une vision géopolitique faisant appel à l’histoire et la géographie comme en témoigne l’excellent article de Jean-François Bayart publié dans la dernière livraison du Nouvel Observateur.
Je ne fais pas partie de cette école de pensée qui suppose en fin de compte une dissolution de l’idée européenne dans une Union réduite à une vaste zone de libre-échange additionnée de quelques joujoux culturels.
La Turquie joue depuis longtemps la carte de l’occidentalisation. Istanbul est sans aucun doute une très grande métropole européenne à laquelle l’UE devrait offrir des liens privilégiés. Mais le centre de gravité turc penche lourdement vers l’Orient, vers le Caucase, l’Asie centrale, jusqu’à la Chine septentrionale. Dynamique, laïque, occidentalisée, la Turquie a un rôle de premier plan à jouer comme médiatrice entre l’Orient et l’Occident.
Mais, Messieurs de Bruxelles, fallait-il pour autant laisser un quarteron d’extrémistes nationalistes gréco-chypriotes le lui dire?
