Face à une résistance insaisissable, un corps aussi rigide qu’une armée se crispe, et recourt fatalement à la torture. La stratégie des néo-conservateurs était vouée à l’échec.
Une défaite des néo-conservateurs à la Rumsfeld et Wolfowitz. C’est la constatation qui s’impose après les révélations de la presse sur la pratique de la torture dans les prisons irakiennes. Une défaite qui se situe dans la droite ligne de la stratégie qu’ils prônaient et que Largeur.com avait exposée en août dernier, une stratégie qui portait en elle-même les conditions de son échec dans la mesure où elle visait à imposer la démocratie par la force des armes.
Dans une région aussi densément urbanisée que la partie arabe de l’Irak, ces penseurs s’imaginaient que l’armée américaine contiendrait plus facilement la résistance qu’elle n’y parvint autrefois dans les forêts vietnamiennes. Erreur!
Corps vivant se déployant ou se repliant à volonté, la ville, si elle est soutenue par la rage de survivre, est imprenable: les Français en ont fait la douloureuse expérience dans la casbah d’Alger.
Face à une résistance multiforme et insaisissable, un corps aussi rigide qu’une armée se crispe et, ne pouvant admettre un échec contre les forces de l’ombre, recourt fatalement à la torture. Les paras du général Massu l’ont fait à Alger. Les soldats américains et leurs supplétifs mercenaires le font aujourd’hui dans les villes irakiennes. Et comme la France naguère, les Etats-Unis y perdent leur âme.
Cela n’implique pas nécessairement un affaiblissement de leur position politique. Les opinions publiques sont volatiles. Un rien peut les distraire. Les services de propagande du Pentagone ou de la CIA peuvent facilement monter une opération de diversion qui fera oublier les images de prisonniers battus, abattus, sanguinolents.
Ce qui frappe dans la situation actuelle, c’est de voir à quel point le crédit de G. W. Bush est peu atteint par les vicissitudes de sa politique au Proche-Orient.
L’Afghanistan que les troupes américaines ont envahi quasiment sans coup férir végète sous la coupe des seigneurs de la guerre sans que quiconque puisse ébaucher une solution pour l’avenir proche.
En Israël, Ariel Sharon est en train de brûler les ultimes cartouches des pères fondateurs de l’indépendance. Sa génération (qui est aussi celle de Shimon Peres et de Yasser Arafat) va quitter le pouvoir par la petite porte en laissant un héritage politique d’une extrême complexité. Les politiciens jeunes et pragmatiques qui vont prendre la succession n’ont pour le moment fait connaître que leur goût pour la force et leur peu de disponibilité pour la diplomatie.
La guerre en Irak, depuis plus d’un an qu’elle dure, prouve que les solutions seront forcément dans la négociation et la diplomatie.
On pouvait encore penser il y a peu que le choc électoral entre Kerry et Bush porterait sur le sort de cette partie du monde. Le fait que les démocrates ne proposent pas (pour le moment du moins) une véritable alternative à la politique de la droite républicaine dans cette partie du monde nous oblige de constater une fois de plus que la politique étrangère ne jouera qu’une rôle minime dans les joutes de cet automne.
Pour les sujets de l’empire que nous sommes, cette réalité est déprimante. Cette pression ne nous atteint pas dans notre chair vive comme c’est le cas pour les populations arabo-musulmanes, mais elle montre le peu de poids que nous avons sur le cours de la politique mondiale. C’est déjà beaucoup.
