Depuis un mois la pression des islamistes s’accentue en Arabie saoudite, une pression dont seuls quelques épisodes marquants parviennent à nos oreilles: l’attaque de Yanbou (1/5/04) qui fit 5 morts, l’assassinat dans une rue de Ryadh d’un citoyen allemand (22/5), la sanglante prise d’otage de Khobar (29/5), le mitraillage de soldats américains (2/6).
Les autorités multiplient les communiqués triomphalistes, annonçant morts et arrestations de militants par dizaines, mais taisant les complicités et connivences dont jouissent ces mêmes militants au sein de l’appareil d’Etat. En réalité, l’Arabie connaît une guerre civile larvée appelée à déboucher assez rapidement sur un conflit plus large.
Que peut faire un Etat policier et dictatorial si sa police se range dans le camp de l’opposition? Que peut faire ce même Etat policier si son seul et unique soutien depuis des décennies –Washington — décide brusquement de changer de camp et de saper les bases de son pouvoir?
Les néo-conservateurs au pouvoir avec Bush annoncent depuis longtemps qu’ils ne peuvent plus se satisfaire de la dynastie des Saoud qu’ils accusent de complaisance avec les islamistes, voire d’une responsabilité directe dans les attentats du 11 septembre 2001. On assiste à la réalisation de leurs vœux. Mais pas dans le sens souhaité.
Le régime saoudien compte parmi les plus contradictoires de la planète. Son fondement est tribal et religieux. L’Etat fonctionne selon le bon vouloir de la famille royale (plus de 4’000 princes du sang) et n’est doté ni d’une constitution, ni d’une charte fondamentale. L’arbitraire le plus total règne sur les 20 millions de sujets et la loi du clan est imposée à coups de décapitations.
La contradiction principale vient de la religion de cet Etat, le wahabisme. Vieux de deux siècles, il est l’une des formes les plus sectaires, réactionnaires, obscurantistes et militantes de l’islam. Cette religion doit coexister depuis un demi-siècle avec un enrichissement extraordinaire de la classe dirigeante grâce à la rente pétrolière. Cela a provoqué un hiatus formidable entre religion et richesse, entraînant la double vie des dirigeants qui, prônant officiellement une morale moyenâgeuse, font le contraire dans leurs palais et au cours de leurs séjours à l’étranger où ils mènent une vie de nababs dépravés.
Mais comme en Irak, les Américains, ouvrant la boite de Pandore, ne donnent pas l’impression de savoir ce qui va en sortir. Alors que l’espoir d’une démocratisation de l’Irak semblait justifié par son histoire, ce sont les divisions ethniques et religieuses qui prennent le dessus. En Arabie, il est vain d’espérer une démocratisation: le peuple est illettré et soumis, les élites corrompues et foncièrement antidémocratiques.
La guerre civile qui s’annonce peut certes abattre la monarchie, mais elle ne peut que porter au pouvoir des religieux rigoristes, fanatiques et fermés à toute occidentalisation (donc démocratisation) de la société. Attendre un progrès de ces gens-là revient à demander au pape de célébrer des mariages homosexuels ou de renoncer à croire à la virginité de la mère de Jésus.
Dans les années 1970, la gauche européenne, obnubilée par les méfaits réels du shah d’Iran, avait soutenu en bloc le mouvement qui porta l’ayatollah Khomeiny au pouvoir. Le régime mis en place s’avéra rapidement pire que celui qu’il avait remplacé. C’est hélas ce qui va se passer en Arabie saoudite.
Par contre, que cette crise annoncée déborde sur le pétrole et son coût ne me dérange pas: il est l’heure que l’Occident se pose sérieusement la question son avenir énergétique et environnemental.