Devenu un enjeu de santé publique majeur, le mieux-dormir représente aussi un marché lucratif pour toujours plus de PME, de start-up de la «sleeptech», ainsi que des hôtels suisses qui tablent sur l’essor du «sleep tourism».
«Le sommeil fait l’objet d’une attention accrue depuis le début de la pandémie de Covid-19. On observe un changement radical dans la priorité que nous y accordons, ainsi qu’au bien-être», résumait la spécialiste du sommeil Rebecca Robbins dans un article publié en 2021 à propos de l’essor du «sleep tourism», ou tourisme du sommeil.
Alors que les troubles du sommeil sont devenus un enjeu de santé publique majeur en Suisse – près de 40% de la population peinait à s’endormir ou souffrait d’insomnies en 2022, selon l’Observatoire suisse de la santé –, ils représentent aussi un business lucratif pour les entreprises qui répondent au besoin grandissant de mieux dormir. Objets high-tech, boissons énergisantes, literie écoconçue ou séjours dédiés au repos, l’économie mondiale du sommeil devrait atteindre plus de 705 milliards de dollars d’ici à 2031 (+62% par rapport à 2024), selon la société de conseil QY Research.
Traiter les troubles nocturnes
Le marché de la «sleeptech» devrait enregistrer un taux de croissance annuel composé de 18,5% d’ici à 2034. C’est ce que révèle le dernier rapport du cabinet Global Market Insights paru en septembre 2025. Conçus dans des buts divers, qui vont de l’amélioration du sommeil au suivi de troubles aigus et chroniques, la plupart des applications, montres et bracelets connectés développés au sein de l’industrie échappent à une validation scientifique qui en garantit l’efficacité. Certaines start-up s’inscrivent toutefois dans un champ strictement médical, comme Aesyra.
En décembre 2023, ce spin-off de l’EPFL a levé 3 millions de francs pour ses gouttières dentaires intelligentes, auxquelles elle a intégré la technologie biofeedback. «L’idée a consisté à transplanter cette technologie, dont l’efficacité a été démontrée dans la littérature scientifique, dans un dispositif aujourd’hui très répandu, afin de traiter le bruxisme nocturne (grincement des dents durant la nuit, ndlr) et l’apnée du sommeil. Dans le cas du bruxisme, la gouttière envoie des stimuli qui permettent de relâcher les muscles faciaux et de stopper l’épisode. Cette même technologie amène le patient à libérer les voies respiratoires ou à ajuster la position du corps lors d’apnées du sommeil, sans le réveiller», détaille Pietro Maoddi, cofondateur d’Aesyra aux côtés de Marco Letizia.
Les gouttières monitorent la fréquence de ces troubles, qui touchent respectivement environ 15% et 3% des Suisses. «Ces informations permettent d’établir d’éventuels liens entre certaines habitudes, telles que la consommation d’alcool ou la pratique d’un sport, et l’augmentation des épisodes. L’objectif consiste à éviter les comportements qui favorisent le trouble.» La commercialisation de la gouttière contre le bruxisme est prévue pour début 2026 aux Etats-Unis et d’ici à fin 2026 en Suisse et en Europe, celle contre l’apnée du sommeil pour 2027.
Masquer le manque de sommeil
Complémentaires au marché visant à améliorer la qualité du sommeil, les offres destinées à camoufler les marques ou les symptômes de fatigue sont aussi en plein essor. L’industrie des cosmétiques «anti-fatigue» devrait ainsi atteindre 28 milliards en 2033 (+56% par rapport à 2023). D’autres solutions beaucoup plus controversées, comme les injections de vitamines, commencent par ailleurs à fleurir, notamment à Lausanne, à Genève et à Gstaad.
La consommation de boissons énergisantes a quant à elle connu une hausse de 25% entre 2018 et 2025. Depuis dix ans, l’importation de maté a presque triplé en Suisse. A Zurich, les ventes de cette infusion riche en caféine ont même dépassé celles de Red Bull au profit de la marque lucernoise El Tony. En Suisse romande, les entreprises genevoise Brio Maté et neuchâteloise Mateo se sont aussi lancées dans la commercialisation de la boisson énergisante depuis 2018 et 2022. Dans un article paru en 2025, le cofondateur de Brio Maté Jeremy Girard révélait avoir multiplié son chiffre d’affaires par dix ces cinq dernières années.

Une literie durable
Avec 19 boutiques en Suisse et à l’international, Elite Beds vend jusqu’à 6000 lits par an – dont 20% à l’export – pour un chiffre d’affaires estimé à 20 millions pour 2025. «Depuis une dizaine d’années, la recherche de confort et de qualité intervient déjà vers la trentaine plutôt qu’à partir de la cinquantaine, constate François Pugliese, CEO de l’entreprise vaudoise depuis 2006. Nos modes de vie toujours plus sédentaires y sont sûrement pour quelque chose.»
Outre un intérêt croissant pour des oreillers et matelas intelligents, le marché mondial de la literie enregistre un engouement pour les produits écologiques et durables. Une tendance à laquelle répond la PME de 110 employés. Certifiée Ecolabel européen depuis 2011, Elite Beds collabore régulièrement avec des hautes écoles et des centres de recherche suisses afin de rester dans la course de l’innovation. Après avoir créé un ressort en bois local avec la Haute Ecole spécialisée bernoise en 2016, elle développe actuellement un ressort en matériaux biosourcés avec la HEIG-VD. «La faible empreinte carbone de ces matériaux réduit considérablement l’impact environnemental des produits – un point que notre clientèle chérit particulièrement.»
Voyager pour se reposer
Depuis quelques années, un nombre croissant d’hôtels placent le sommeil et le bien-être au centre de leurs offres, s’inscrivant ainsi dans le marché du «sleep tourism». Au Beau-Rivage Palace de Lausanne, par exemple, la Suite Spa comprend un «FreshBed scientifiquement développé» pour garantir un sommeil profond et réparateur. «En principe, l’amélioration du sommeil n’est pas la seule cible de la large palette de services à disposition, mais plutôt un des effets recherchés parmi d’autres, avec une approche orientée vers le bien-être holistique», indique Véronique Kanel, porte-parole de Suisse Tourisme.
Bien que la tendance concerne davantage le secteur du luxe, des établissements de milieu de gamme commencent à investir ce créneau. Depuis 2023, l’hôtel Maistra 160, à Pontresina (GR), propose par exemple des retraites de quatre ou cinq nuits «pour un mode de vie sain et holistique» (budget: entre 1500 et 2500 francs). Fondé à Haute-Nendaz en 2024, le MAD Retreat a quant à lui développé des retraites à thème à partir de 1500 francs les trois nuits.
Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans PME Magazine.
