Chercheuse à l’EPFZ, Marie Perrin a mis au point un procédé bréveté qui pourrait révolutionner le recyclage des terres rares. Un enjeu crucial pour l’Europe à l’heure où l’extraction et le commerce de ces matériaux sont largement contrôlés par la Chine.
«Petite, j’étais une enfant très curieuse qui passait son temps à enquiquiner les adultes avec ses questions. Mes deux parents sont scientifiques et m’ont incitée à suivre leurs pas. En 2016, après deux ans de classe préparatoire, j’entame des études de chimie à l’Université Paris-Saclay, puis à l’École polytechnique, que je termine cinq ans plus tard. Lors de mes études de master, mes recherches ont porté sur l’usage des métaux pour faciliter la production du plastique. Sur le plan scientifique, c’était passionnant. Mais j’ai rapidement abandonné cette filière car je voulais que mon travail s’aligne sur mes valeurs. Je tenais à ce que mes recherches aient un impact positif sur l’humain et la planète. J’ai donc rejoint l’équipe du Professeur Mougel à l’EPFZ. Il préparait un projet de recherche sur la chimie des terres rares. Objectif initial de ma thèse: combiner des molécules bio-inspirées avec les terres rares pour favoriser la production d’engrais verts. Au cours de ce projet, nous nous sommes rendu compte que les molécules soufrées que je manipulais étaient efficaces pour discriminer les terres rares. Or, nous, les chimistes, savons que ces éléments sont très difficiles à dissocier. La séparation et l’isolement des terres rares est un vrai casse-tête pour les industriels, car elle très polluante et énergivore. Convaincus d’avoir mis le doigt sur une avancée potentiellement majeure, nous avons décidé de réorienter nos recherches. Le pari était risqué. Pour n’importe quel chimiste, traiter des terres rares avec du soufre paraît contre-intuitif. D’ailleurs, les premières expériences n’ont pas été très concluantes. Mais à force de persévérance, j’ai fini par trouver la bonne méthode pour isoler l’europium, une terre rare que l’on trouve dans les lampes fluorescentes et que l’on peut ensuite réutiliser lorsque le produit est arrivé en fin de vie, notamment pour la fabrication d’écrans ou d’ampoules LED.
Mon directeur de thèse et moi avons décidé de breveter la technologie. L’idée de monter une start-up a commencé à germer. Quelques années plus tôt, pourtant, je n’aurais jamais imaginé me lancer dans l’entrepreneuriat. L’image que je m’en faisais s’apparentait au cliché des inventeurs un peu atypiques dans un garage, comme Bill Gates ou Steve Jobs. Pour m’accompagner dans cette nouvelle aventure, j’ai fait appel à une amie de longue date, Maria Pujos, que j’avais connue sur les bancs du lycée et qui après une école d’ingénieur s’est spécialisée en finance d’entreprise. Le projet de REEcover (pour Rare-Earth Elements) était né. L’écosystème suisse et ses incubateurs m’ont aidée à comprendre comment lancer un produit complètement nouveau sur un marché encore inexistant: le recyclage des terres rares. Aujourd’hui âgée de 28 ans, j’ai obtenu des financements de la part de la Fondation de l’EPFZ et de la fondation Peter Bopp, qui m’ont confié une enveloppe totale de 400’000 francs pour poursuivre les recherches et construire le projet pilote de la startup.

Actuellement, moins de 1% des terres rares sont recyclées dans le monde. L’extraction et le raffinage de ces métaux sont d’une importance fondamentale pour notre société. Ordinateurs, smartphones, fibre optique, les objets indispensables au quotidien dépendent entièrement de ces éléments. C’est un fait souvent oublié par le grand public. La numérisation nous donne l’illusion d’un monde dématérialisé, mais l’abondance des produits électroniques conduit justement à une consommation accrue de matière. Entre les conditions d’extraction dans les mines et la mainmise de la Chine sur les capacités de raffinage, les enjeux éthiques et stratégiques pour l’Europe sont énormes. Depuis 2024, le Critical Raw Material Act (Législation européenne sur les matières premières critiques, ndlr) prévoit que le recyclage permette de produire 25% des terres rares utilisées dans l’Union européenne d’ici 2030. Notre technologie, capable d’extraire ces éléments hautement valorisables à partir de déchets industriels, s’inscrit précisément dans cet objectif. Nous espérons donc fonder officiellement la startup d’ici quelques mois.»
Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans PME Magazine.
