KAPITAL

Des voitures qui roulent à l’huile de colza

Une coopérative vaudoise produit du carburant à base de la plante à fleur jaune. Une énergie renouvelable qui intéresse les grands distributeurs.

Le colza est à nouveau à la mode, et pas seulement dans l’alimentation grâce aux omega 3. La fleur jaune s’est trouvé une utilité moins attendue: le carburant automobile.

Très courant en Allemagne, le biodiesel à base d’huile de colza se fabrique aussi en Suisse grâce à une coopérative paysanne vaudoise baptisée Eco Energie Etoy. «Nous avons commencé la production en 1996», raconte Eric Herger, ingénieur agronome, gérant et seul employé à plein temps de l’usine. «Nous pensions que c’était une alternative intéressante à la production d’huile comestible. Désormais, plus de 1’000 agriculteurs, essentiellement vaudois, réalisent des revenus attractifs en alimentant notre usine.»

Une telle énergie renouvelable apporte un argument intéressant, alors que les autorités suisses réfléchissent à suivre la France en taxant les gros consommateurs de carburant, 4×4 en tête. Le carburant au colza n’est pas moins polluant, dans le sens que les émissions sont comparables à celles d’un moteur diesel, mais il entre dans la catégorie des énergies renouvelables puisque le CO2 dégagé provient d’une origine végétale; et le résultat de la combustion de l’huile retourne ensuite alimenter la photosynthèse du colza dont elle provient.

Eco Energie Etoy produit 2,2 millions de litres par année de biodiesel et alimente huit pompes dans la région bernoise, par l’intermédiaire du distributeur Flamol. A Genève, le Cercle des agriculteurs a mis en place une pompe et fournit quelques entreprises. «Notre production est trop faible pour intéresser les grands groupes pétroliers comme c’est le cas en France ou en Allemagne», note Eric Herger.

Pour fabriquer du biodiesel, il faut presser le colza comme pour fabriquer de l’huile. Puis, pour rendre cette huile plus fluide, on ajoute du méthanol et de l’hydroxyde de potassium. Ce procédé, appelé estérification, libère de la glycérine, exploitée pour des cosmétiques. Quant au tourteau, résidu de la pression, il est utilisé pour nourrir le bétail: l’exploitation de cette plante révèle de nombreuses applications inattendues.

Le carburant ainsi fabriqué peut être mélangé à du diesel ou utilisé pur. Le même procédé d’estérification peut être appliqué pour transformer d’autres huiles végétales en carburant; c’est ce que fait l’entreprise genevoise Biocarb. «Nous produisons un million de litres par année à partir d’huiles usagées, récupérées notamment dans les restaurants», explique François Fleury, fondateur de Biocarb. «Pour l’instant nous vendons essentiellement à des transporteurs de la région, et aussi à Flamol, mais nous nous préparons à entrer sur le marché européen du biodiesel.»

La Migros s’y met aussi avec son «Greenlife plus», un carburant vendu dans certaines stations Migrol, qui contient 5% de biodiesel. Mais Migros doit importer son huile de colza d’Allemagne. «La production suisse ne permet pas de répondre à nos besoins», regrette William Jurt, directeur commercial de Migrol. C’est que la Confédération limite la production de biodiesel à 5 millions de litres par année, notamment car ce carburant n’est pas taxé.

«Comme les taxes d’importation sont très élevées sur l’huile qui vient d’Allemagne, nous subventionnons ce carburant pour qu’il reste compétitif à la pompe: nous le vendons seulement 2 centimes de plus que le diesel, poursuit William Jurt. A terme, nous espérons que la Confédération autorisera l’augmentation de la production suisse, mais les autorités semblent s’intéresser davantage à la taxe sur le CO2, plus rentable…»

La grande force du biodiesel: il ne nécessite aucune adaptation technique du moteur. Par ailleurs, on peut sans problème alterner la consommation de biodiesel et de carburant dans un véhicule diesel standard. Mais certains constructeurs automobiles rechignent alors à maintenir leur garantie d’usine, arguant que le biodiesel attaque davantage les matériaux. Audi, VW, Mercedes et BMW l’acceptent toutefois pour certains de leurs modèles, notamment parce que ce carburant est très populaire en Allemagne où l’on trouve déjà 1’600 pompes de biodiesel.

Autre atout: la performance du moteur n’est pas affectée. Une légère différence d’efficacité calorifique (de 2 à 5%) entraîne une consommation à peine supérieure. Pour ce qui est des retombées sur l’environnement, elles sont moins importantes car le biodiesel génère moins de particules. Quant au CO2, il en dégage une quantité comparable.

Comme l’Etat ne prélève pas de taxe sur ce carburant écologique, le prix peut s’aligner sur celui du diesel, soit environ 1,30 franc le litre. «Et nos tarifs ne dépendent pas de l’OPEP», sourit Eric Herger. Actuellement, la production de biodiesel est limitée par des quotas, et l’importation reste interdite, mais on évoque une ouverture du marché.

«Une taxe sur le CO2 aurait un effet bénéfique sur notre activité, elle nous permettrait de produire davantage et de réaliser ainsi des économies d’échelle.» La coopérative d’Etoy paie aujourd’hui suffisamment les agriculteurs pour qu’ils développent la culture du colza, qui fait une remontée spectaculaire après des années de baisse: on produit désormais en Suisse autant de colza qu’il y a quinze ans.

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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 1er juillet 2004.