CULTURE

Michael Moore et Youssef Chahine, le bonheur des films militants

Un cinéaste américain, un cinéaste égyptien: deux films à l’affiche qui incitent à la discussion et à la réflexion.

J’ai failli rater « Fahrenheit 9/11 »! Si la rédaction de Largeur.com ne m’avait pas demandé d’aller le voir, j’aurais en effet obéi aux critiques parisiens qui, avec un bel ensemble, dénoncent les grosses ficelles de Michael Moore, la partialité du montage, le recours à des arguments lacrymaux propre à entortiller le spectateur sans le faire réfléchir. Et j’aurais perdu le plaisir de voir un beau film militant. La précision est importante: un film militant, pas de propagande.

Le film militant défend une thèse, un engagement, une conviction en se fondant sur des faits. Un film de propagande use et abuse du faux, du mensonge, de la tromperie pour séduire le gogo. Moore ne prend jamais son spectateur pour un gogo, il s’adresse à l’électeur pour lui montrer que Bush est dangereux et qu’il convient de les chasser, lui et son équipe, du pouvoir en novembre prochain.

Sa démonstration repose sur les événements saillants des quatre dernières années de l’histoire américaine que j’ai exposés dans leurs très grandes lignes ici-même la semaine dernière. Mais avec le talent de Moore, des images, une musique et un humour formidables. Et des possibilités d’enquêtes incomparables.

Grâce à l’argent amassé par ses précédents succès, Moore a pu se payer des images rares que nous n’avons jamais vues. Par exemple: le candidat Bush déclarant avant le comptage des voix que la Floride (gouvernée par son frère) voterait pour lui.

A la sortie du film, encore remonté contre la critique parisienne, je me suis demandé pourquoi le cinéma français d’aujourd’hui était incapable d’être politique et militant. Pourquoi un Romain Goupil si prompt à saluer l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis n’essaie pas, à la façon de Moore, de nous donner un portrait de Chirac à la mairie de Paris et à l’Elysée, de démêler les entrelacs des multiples affaires qui font qu’une fois retraité, Chirac sera traîné devant les tribunaux à moins que les prescriptions ne jouent en sa faveur, de dénoncer le mensonge politique, les trahisons et les bassesses qui jalonnent cette carrière typiquement française.

Je pensais aussi au grand Alain Resnais, celui de « Nuits et brouillard », de « Hiroshima, mon amour », de « La Guerre est finie » qui, aujourd’hui, passe sa vieillesse à pousser la chansonnette, à se demander s’il faut fumer ou pas, à nous emmener au théâtre d’opérette. Avec un talent fou, mais sans enjeu.

J’en étais arrivé à la conclusion que seule l’urgence accouche du militantisme, que Chirac, n’ayant pas les pouvoirs de Bush, ne met pas le monde en danger, que, malgré ses problèmes multiples, la France se sent bien et peut pousser la chansonnette tout en regardant pour la millième fois les gauloiseries des gendarmes de Saint-Tropez.

Mon opinion fut confortée le lendemain par la vision du superbe « Alexandrie… New York » de Youssef Chahine. A l’âge de 78 ans, ce cinéaste égyptien vit encore de vraies passions. Il a le culot de pousser, depuis Le Caire en plein cœur du monde arabe, un immense cri d’amour envers les Etats-Unis.

Dans une sympathique intrigue mélodramatique qui ne renonce pas au trait caricatural, on suit deux personnages admirablement incarnés par Mahmoud Hemeida. Le premier est un étudiant cairote débarquant dans une école de théâtre californienne en 1948, le second danseur étoile d’un ballet new-yorkais aujourd’hui. Cette jeune vedette apprend subitement que son père n’est pas celui qu’il croyait, mais un Arabe («Quelle horreur, un Arabe! Je travaille dans un milieu juif»), cinéaste et acteur de réputation mondiale. Ces titres n’impressionnent pas le jeune Américain qui refuse de reconnaître son vrai père à tel point que ce dernier finit par le rejeter.

Le film — chaleureux, imbibé d’antique culture — milite contre l’affrontement des civilisations occidentales et arabo-musulmanes avec des armes semblables à celles de Moore. Et avec la même partialité: vantant la tolérance de la vieille Alexandrie, celle décrite par Lawrence Durrell dans son « Quatuor d’Alexandrie », Youssef Chahine oublie de dire que les juifs en furent chassé par le nationalisme arabe après la guerre de 1956.

Mais qu’à cela ne tienne! Quel bonheur de voir des vrais films militants incitant à la discussion et à la réflexion en ces temps où la paix du monde trébuche.