KAPITAL

Le retour de la Québécoise

Entrepreneuse phare de Suisse romande, Nicola Thibaudeau s’était faite plus discrète après son départ de Mecanex. Largeur.com l’a retrouvée à la tête de MPS, une petite entreprise biennoise de mécanique de précision.

Dès la poignée de main, franche, Nicola Thibaudeau annonce la couleur: «Je ne suis pas là pour parler de moi mais de mon entreprise et des gens qui m’entourent. J’ai envie que mes employés retrouvent leur fierté de travailler ici car cette entreprise revient de loin.» C’est à Bienne que Largeur.com a retrouvé l’ancienne patronne de Mecanex, toujours aussi volubile et énergique.

Depuis son départ il y a deux ans de la société spécialisée dans la mécanique spatiale, elle avait disparu de la circulation et notamment des médias qui aimaient tant interroger cette businesswoman atypique à la moindre occasion. On avait certes noté son passage au conseil d’administration de la BCV en 2002 – «Je me suis plongée dans ces comptes pendant des mois…» -, mais à part ça, plus rien.

«Certains pensaient que j’avais décidé d’arrêter ma carrière, que j’allais passer mon temps à donner des conférences dans des hôtels… C’est mal me connaître! J’ai besoin de créer quelque chose avec une équipe, pas avec du papier. Mais je ne voulais pas non plus foncer dans une start-up: c’est une culture dans laquelle les entrepreneurs n’ont souvent appris qu’à dépenser, pas à vendre des produits. Mais arrêtons de parler de moi.»

L’entreprise, donc. Depuis décembre, Nicola Thibaudeau, 43 ans, dirige MPS, une usine de mécanique à Bienne (150 collaborateurs) qui «fabrique des choses réelles, avec des vraies gens». «J’ai été contactée par un chasseur de têtes zurichois. L’entreprise avait besoin d’un nouveau souffle après une lourde restructuration. J’ai tout de suite eu envie de relever ce défi.»

MPS fabrique des roulements à billes de haute précision ainsi que des micromoteurs et des systèmes mécaniques miniaturisés destinés à l’automation et aux applications médicales, voire spatiales.

L’usine a une longue histoire: née en 1936 sous le nom de RMB, elle se spécialise déjà dans des roulements à billes qui finissent dans des gyroscopes, des fraises de dentiste, des patins à roulettes et même dans les combinaisons des astronautes qui sont allés sur la Lune. Une deuxième usine est ouverte à la fin des années 60 à Bonfol dans le Jura.

De grands micromoteurs RMB s’est rendue célèbre dans les milieux scientifiques et techniques en développant Smoovy, le plus petit moteur du monde. Si cela ne représente que 5% de l’activité du groupe aujourd’hui, ces micromoteurs ont propulsé l’entreprise sur des marchés à fort potentiel.

Avec son partenaire asiatique basé en Malaisie, l’entreprise biennoise en a par exemple fabriqué 500’000 destinés à motoriser les clapets du téléphone mobile Samsung. «Cette application n’a cependant pas très bien fonctionné commercialement car les usagers préfèrent ouvrir leur mobile à la main», constate Nicola Thibaudeau en dépliant manuellement son téléphone.

MPS développe aussi des applications mé-dicales comme une petite pompe à morphine, vendue à Medtronic, qui a demandé trois ans de développement. MPS produira 15’000 pompes par an, un joli succès technique et commercial. «Notre objectif pour MPS: passer d’un chiffre d’affaires de 18 à 37 millions en quatre ans.»

L’entreprise voit l’avenir plus sereinement qu’en 2002, quand l’orage s’est abattu sur elle: le groupe Myonic, nouveau nom de RMB, décide alors de centraliser ses activités en Allemagne. Presque aucun employé ne déménage pour garder son emploi. Les cadres de la filiale suisse poursuivent l’activité et commencent un processus de restructuration en vue de trouver un repreneur. Lorsque la holding allemande Faulhaber crée MPS en reprenant les activités suisses de l’entreprise, l’effectif est déjà tombé de 314 à 115 employés.

La voix de la directrice résonne dans la halle. «Vous voyez, tous ces locaux vides, c’est déprimant!» Elle préfère les ateliers bruyants. Chaussures blanches et costume crème, elle ondule entre machines, taches d’huile et employés en blouse de travail. Sa voix forte couvre le sifflement des tours et des machines à commande numérique.

«Je connais cette usine de fond en comble car, pendant mes premiers mois ici, j’ai passé plusieurs heures à chaque poste de travail jusqu’à ce que je me sente capable d’effectuer la tâche de tous les employés.» Y compris le poste de «contrôleur de billes», qui consiste à vérifier la qualité des sphères minuscules au moyen d’un microscope en fonction des reflets de la lumière. «Il m’a fallu un temps fou pour voir la différence entre les bonnes et les mauvaises, mais maintenant j’y arrive!» Une proximité presque familiale s’est installée dans l’usine. «Je pense que les employés se confient plus facilement à une femme.»

Pour François Huguelet, membre de la direction de MPS, «femme ou homme, ce n’était pas l’important, mais il nous fallait quelqu’un de compétent et d’énergique pour reprendre les rênes de l’entreprise. Elle a rapidement redonné confiance au personnel.» Si Nicola Thibaudeau a su s’imposer dans le monde très masculin de la mécanique, c’est qu’elle a commencé très jeune à y diriger des équipes.

Au Canada, elle travaillait comme ingénieur de production chez IBM. La micromécanique de précision l’amènera logiquement en Suisse. «Pour IBM, je développais une machine avec Ismeca, à La Chaux-de-Fonds, pour fabriquer des systèmes d’électro-optique. J’ai passé plusieurs mois sur place pour mettre au point cette machine. J’ai tout de suite adoré la Suisse, les montagnes, les gens.»

L’efficacité de la Canadienne est remarquée par Philippe Jacopin, alors administrateur du groupe Cortaillod. «Elle avait un savoir-faire impressionnant. Et sa personnalité – son humour, son approche directe – contrastait dans le milieu des ingénieurs qui sont souvent introvertis. Sa puissance de tir est incroyable. Cela ne me posait aucun problème qu’elle soit une femme, même s’il n’y en avait aucune dans les directions d’entreprises de ce genre à l’époque. On a fait les démarches administratives pour pouvoir l’engager en Suisse. Nous sommes restés amis depuis.»

«Je ne veux pas rater l’action» A 29 ans, Nicola Thibaudeau se retrouve directrice de l’usine Cicorel de La Chaux-de-Fonds. «Les gars ne trouvaient pas grave que je sois Québécoise, c’était mieux que si j’avais été une Neuchâteloise du bas!», dit-elle dans un éclat de rire. «Mes meilleurs amis ici sont encore aujourd’hui les gens que j’ai rencontrés juste après mon arrivée.»

Chaque matin, Nicola Thibaudeau saute dans son tram à l’aube. «Je me lève à 5 h 30 pour ne pas rater l’action.» Elle n’a pas encore quitté sa maison sur La Côte, qu’elle occupe avec son mari et ses deux enfants, mais s’apprête à acquérir une résidence sur plans près de Neuchâtel. «J’adore Neuchâtel et comme mon mari travaille dans la région lémanique et moi à Bienne, c’est à mi-chemin. On s’est connus au Tessin lors d’un cours de management. Il a été directeur d’hôpital, puis il a travaillé dans l’assurance. Mais il est dans l’horlogerie maintenant, un secteur plus proche du mien.»

Mecanex a été son grand coup de coeur. Une réussite qui lui a valu le Prix Veuve Cliquot de la femme d’affaires en 1997. «Quand je l’ai achetée avec mon associé Volker Gass en 1995, j’avais peu de sous: j’ai trouvé 500 000 francs et emprunté le reste à l’UBS…» En 2000, lorsqu’elle vend l’entreprise au groupe Ruag, le chiffre d’affaires atteint 8 millions. Cette aventure à la tête de l’entreprise vaudoise l’a «beaucoup enrichie», avoue-t-elle en riant. Elle n’en dira pas davantage. «On a déjà bien assez parlé de moi, non?»