KAPITAL

Un bouchon de verre pour remplacer le liège

La multinationale Alcoa va commercialiser un nouveau dispositif de fermeture des bouteilles de vin. Serait-ce la fin du goût de bouchon?

Serait-ce la fin du goût de bouchon? La multinationale de l’aluminium Alcoa, dont le siège européen est à Genève, a développé un nouveau dispositif de fermeture des bouteilles de vin: un bouchon de verre qui s’encastre dans le goulot et qui est maintenu en place par un joint thorique et un capuchon en aluminium.

Le produit arrivera sur le marché début 2005, mais certains vignerons-encaveurs suisses ont déjà pu le découvrir cet été.

Le Vino-Lok, c’est son nom, présente un avantage décisif: il peut être retiré à la main, sans le moindre ustensile. Son prix, entre 45 et 60 centimes la pièce (capuchon compris), correspond à celui de son ancêtre en liège de bonne qualité. «C’est pourquoi nous visons des clients produisant des vins de haut de gamme», explique Marion Raquena du Département de développement d’Alcoa Allemagne, où est fabriqué l’objet.

Depuis quelques années, l’augmentation de la production de liège a entraîné une baisse de la qualité des bouchons traditionnels. C’est pour offrir une alter- native élégante aux encaveurs que la multinationale a développé ce système qui s’apparente au bouchon de carafe et qui est maintenu étanche par son capuchon amovible en aluminium — une spécialité d’Alcoa. Le Vino-Lok a gagné ce printemps la médaille d’or de l’innovation au salon allemand Interventis Interfructa.

Depuis neuf mois, l’objet est testé par une quarantaine d’encaveurs dans plusieurs domaines à travers le monde, ainsi que par des oenologues de l’Université technique de Geisenheim et de l’Institut de recherche d’Oppenheim.

Elégant, recyclable, pratique, réutilisable et inodore, ce produit constitue une petite révolution dans le monde vinicole. Si aucun inconvénient technique ne semble avoir été identifié jusqu’ici, certains professionnels se sont montrés sceptiques en raison de son étanchéité totale.

Nathalie Albaladejo, ancienne responsable des ventes à la Bouchonnerie Gabriel, spécialisée dans le haut de gamme en France, estime que le liège sera difficile à remplacer car ses propriétés naturelles entraînent un échange gazeux entre l’air et le vin. Ce que le Vino-Lok ne permet pas. Pourtant, les essais s’avèrent concluants et, selon Marion Raquena, près de 70 caves ont déjà commandé le produit, ce qui représente la moitié du chiffre qu’espère atteindre la multinationale.

Thomas Streider, responsable du développement chez Alcoa Allemagne, dit n’avoir nullement l’intention de remplacer le bouchon traditionnel: «Sachant qu’il y a annuellement entre 15 et 17 milliards de bouteilles en vente dans le monde et que ce chiffre risque d’atteindre les 22 milliards d’ici 2010, nous ne visons qu’une partie de ce marché».

Alcoa cherche à commercialiser environ 15 millions de Vino-Loks par an. Le potentiel d’implantation du produit est élevé en Suisse, selon Thomas Streider, car le pays est traditionnellement intéressé par les moyens alternatifs de fermeture.

Le Vino-Lok sera produit en masse en Allemagne, dans l’usine d’Alcoa à Worms, dès cet automne. Reste à savoir si, culturellement, il saura plaire aux oenophiles. «Il est vrai que nous bousculons un peu la tradition qui entoure un bon vin, tant dans la matérialité du bouchon que dans le rituel d’ouverture de la bouteille», avoue Thomas Streider.

Mais c’est justement cette facilité d’usage qui, selon lui, a séduit ses premiers clients. La compagnie aérienne Lufthansa, par exemple, a choisi de l’adopter parce qu’il «facilitera la vie aux hôtesses de l’air».

Parmi les vignerons suisses approchés par la multinationale, Jean-Pierre Favre, directeur de la société Fils de Charles Favre SA à Sion, estime quant à lui qu’un vin haut de gamme ne pourra jamais se passer du traditionnel bouchon de liège.

«Le Vino-Lok m’intéresse, mais si je l’adopte, ce sera uniquement pour les vins courants, pour lesquels j’utilise actuellement des capsules à vis», explique-t-il. Ce qui représente environ 10% de sa production. Le verre étant nettement moins flexible que le liège, les encaveurs qui optent pour Vino-Lok doivent s’assurer que leurs bouteilles présentent un diamètre de goulot régulier.

La part de marché de ce nouveau système s’annonce donc assez faible pour l’instant. Marion Requena estime même que si Alcoa, qui a investi entre 4 et 5 millions d’euros dans l’opération, atteint le 2% de la production mondiale de bouteilles avec cette innovation, ce sera déjà un bon score.

L’élégance du verre n’est donc pas tout à fait prête à détrôner la rusticité du liège, même si elle commence à intriguer les encaveurs, répondant ainsi à la volonté de son créateur, un petit dentiste allemand, le docteur Karl Mattheis, qui a approché Alcoa pour rayonner dans le monde entier.