LATITUDES

L’uniforme et l’art de l’apprivoiser

Jeunes et volontiers séductrices, elles doivent porter l’uniforme au travail. Six employées racontent comment elles vivent avec ces habits de fonction pas toujours flatteurs pour la silhouette.

L’homme est un animal contradictoire. Demandez-lui ce qu’il pense des femmes en uniforme, et il vous parlera du charme irrésistible de l’infirmière, du fameux sex-appeal des hôtesses de l’air ou de l’incomparable pouvoir de séduction des assistantes dentaires.

Il vous dira que l’uniforme féminin est un puissant réservoir à fantasmes. Mais le même homme pourra retourner cent fois au supermarché sans remarquer la charmante caissière qui lui rend la monnaie. Parce que cette jeune femme, justement, porte un uniforme terne.

La conductrice du tram ou la postière ne trouveront pas davantage grâce à ses yeux, comme si leur charme disparaissait aussitôt qu’elles revêtent leur habit de fonction.

«La beauté d’une jolie fille peut être gâchée par une tenue de travail ringarde ou mal ajustée, dit Philippe Robin présentateur du concours de Miss Suisse Romande sur la TSR. C’est vrai que je regarde moins ces filles-là. Mais quand j’étais plus jeune, je courais derrière les majorettes!»

Y aurait-il donc deux types d’uniforme, ceux qui réhaussent la slihouette et ceux qui la ternissent? «Je craque généralement sur les uniformes sérieux comme ceux de la police, dit Alexandre Dumont, informaticien à Genève. Une jolie fille en tenue officielle me fait fondre. Par contre, je trouve les habits de grandes surfaces assez moches.»

Pas de chance pour les employées de supermarché: leurs tenues sont souvent conçues pour paraître «cheap», aussi bon marché que les articles en rayon.

Les caissières de la Migros, par exemple, sont habillées aux couleurs M-Budget, avec rayures vertes et blanches. Mais plus pour longtemps. «Tous nos uniformes seront changés dès 2005, explique Monika Weibel, porte-parole du géant de la distribution. C’est la designer zürichoise Ida Gut qui a créé les nouveaux modèles. L’idée est de renforcer notre image de marque.»

Mais que les employées ne se réjouissent pas trop vite: ces nouvelles tenues, plus modernes, ne laissent pas beaucoup de place à la coquetterie.

«C’est parce qu’elles doivent convenir aussi bien aux grandes qu’aux petites, aux femmes fortes qu’aux minces, dit Monika Weibel. Nous devons tenir compte du fait que nos employées de sont pas toutes des top-models!»

C’est d’ailleurs l’une des fonctions principales de la tenue professionnelle: gommer les différences, uniformiser l’apparence. «Dans ce sens, l’uniforme peut être perçu comme une protection par les employés», dit le psychiatre Pierre Sindelar.

Alors, dans les magasins et les administrations suisses, l’uniforme est-il vécu comme une carapace? Comme une contrainte? Comme un tue-l’amour? Ou comme une autre manière de séduire?

Nous avons demandé à six jeunes Romandes de nous raconter leur rapport à l’habit de travail. Elles nous en ont parlé sans fausse pudeur, et elles ont accepté de bonne grâce de poser face aux photographes.


Photo: Fred Merz/Rezo

Evelore, 19 ans, caissière chez PickPay à Genève, a l’impression que sa tenue de travail ne la met pas vraiment en valeur. «Je ne le trouve pas beau.» Cette fille habituée à soigner son look ressent comme une contrainte le fait de devoir revêtir un habit de fonction. «Quand je suis en civil, on me dit que je suis une fashion victime.» Le tenue professionnelle a tout de même un avantage à ses yeux: son aspect ludique. «Je porte toujours des strings. Et avec mon copain, il y a un petit jeu excitant autour de l’uniforme.»


Photo: Nicolas Righetti/Rezo

Yirlean, 26 ans, caissière Coop à Genève, précise d’emblée que «le reste du temps, je mets des tenues beaucoup plus sexy.» Elle trouve son uniforme professionnel trop banal. «Je ne me sens pas vraiment féminine habillée comme cela.» Ce qu’elle reproche avant tout à cet habit de travail, c’est son aspect rigide: impossible de le combiner avec d’autres vêtements. «On n’a pas le droit d’apporter notre touche personnelle, alors mon atout séduction en uniforme, c’est le sourire!»


Photo: Christophe Chamartin/Rezo

Nadia, 21 ans, hôtesse McDonald’s à Cheseaux, considère que son uniforme est purement fonctionnel. Ce qui n’empêche pas certains clients de la regarder du coin de l’œil. «Même si la tenue n’est pas vraiment sexy, je me fais draguer», dit-elle. Son copain n’a rien contre son habit de travail. «Mais il me préfère en civil, avec mes tenues coquines!»


Photo: Christophe Chamartin/Rezo

Annja, 26 ans, employée à la poste de Morges, apprécie l’aspect pratique de son uniforme. «C’est facile de porter tous les jours la même chose: pas de tracas le matin!» De plus, cette tenue a l’avantage de mettre tous les employés sur le même plan. «Elle me donne une certaine égalité par rapport aux hommes avec qui je bosse. Mais j’avoue, on me drague beaucoup plus quand je ne porte pas l’uniforme!»


Photo: Nicolas Righetti/Rezo

Katia K, 28 ans, agent de la Police de la sécurité internationale, à Genève, aime le pouvoir que lui procure la tenue officielle. «On croit que je vais être indulgente, mais derrière mon uniforme, je reste intransigeante. En fait, l’uniforme est une fierté pour moi. Et puis les gens sont plus respectueux.» Mais il ne faut pas pour autant confondre vie privée et vie professionnelle. «Dès que j’arrive à la maison, j’enlève tout. C’est même la première chose que je fais.»


Photo: Fred Merz/Rezo

Anne, gendarme dans le quartier de Plainpalais, à Genève, ne paraît pas avoir de problème particulier avec l’uniforme. Ses longs cheveux blonds et son maquillage se marient particulièrement bien avec sa tenue. Anne est à l’aise, et elle ne le cache pas. «Les hommes se retournent fréquemment dans la rue, je me fais souvent draguer en uniforme!»