Les journaux ne parlent pas de la Moldavie. Ce qui se passe dans cette ancienne république soviétique mérite pourtant quelques minutes d’attention.
Le fracas des guerres ouvertes dans le Caucase, en Irak ou au Darfour étouffe les faibles cris de désespoir des Moldaves en butte aux provocations du gouvernement de leur province sécessionniste de Transnistrie. Une province puissamment soutenue par la 14ème armée russe placée là par le défunt mais néanmoins fameux général Lebed il y a une douzaine d’années.
Mais avant de passer aux faits, permettez-moi de planter succinctement le décor. La Moldavie (nom officiel: Moldova, capitale: Chisinau) est cette ancienne république soviétique (plus petite que la Suisse, 4,5 millions d’habitants) qui proclama son indépendance en août 1991.
Peuplé majoritairement de Roumains, mais aussi de Russes, d’Ukrainiens et de diverses minorités, le pays fut frappé de plein fouet par l’effondrement de l’URSS et de ses circuits commerciaux: son climat en avait fait un des centres d’approvisionnement de l’URSS en produit maraîchers, en vins et en cognacs. Du jour au lendemain, les Moldaves se retrouvèrent sans débouchés.
D’où, aujourd’hui, une pauvreté à faire peur. Un exemple: un trentenaire bardé de diplômes universitaires, chef de l’antenne d’une agence occidentale de management ayant une demi-douzaine d’employés sous ses ordres, gagne 200 euros par mois. C’est une grosse paie, le salaire moyen tournant autour de 50 euros
Dès son indépendance, la Moldavie se heurte aux velléités sécessionnistes de sa province de Transnistrie. Cette province est une étroite bande de terre longeant la rive gauche du Dniestr. C’est là que sont concentrées les industries moldaves et que se trouve un nœud ferroviaire contrôlant les communications de toute la région.
Sur la carte, il apparaît clairement qu’elle n’est géographiquement qu’une frange de l’Ukraine. Et pourtant, cette région où Staline avait regroupé des populations roumaines dans les années 1920 a une histoire chargée: dans l’entre-deux-guerres, alors que la Moldavie était sous souveraineté roumaine, la Transnistrie formait à elle toute seule la Moldavie soviétique.
Cela changea à la fin de la dernière guerre mondiale quand l’URSS, dans son élan victorieux, récupéra les anciennes possessions des tsars. Car l’ensemble du territoire moldave entre le Prout et le Dniestr passa le XIXe siècle sous la tutelle de Moscou.
Excusez la complexité de ce bref rappel historique, sans cette perspective, on ne peut pas comprendre la crise actuelle. En 1992, une brève guerre opposa les Transnistriens aux Moldaves. La situation fut ensuite gelée par le déploiement de la 14e armée russe. Une armée qui se trouve ainsi postée dans une petite enclave entre l’Ukraine et la Moldavie, à des centaines de kilomètres des frontières russes. Mais au cœur de l’Europe orientale, ce qui permet à Moscou, de maintenir une pression militaire sur la Roumanie (et au-delà, sur les Balkans) mais aussi dans le dos de l’Ukraine.
Géopolitiquement, cette présence militaire est essentielle pour Poutine comme je l’ai signalé il y a quelques semaines dans ces colonnes.
Selon des accords, cette armée aurait déjà dû quitter le pays. Or elle n’en prend pas le chemin. Pis même, le gouvernement de Transnistrie et son président, Igor Smirnov, se livrent depuis le début de l’été à des provocations incessantes.
En juillet, ils décident de fermer six écoles et lycées en langue roumaine sur les huit en activité. Or un tiers des 800’000 Transnistriens sont roumanophones. Ces écoles sont toujours fermées, malgré les manifestations des élèves et de leurs parents et l’indignation de Chisinau et de Bucarest.
Fin juillet, c’est le trafic aérien et ferroviaire qui est bloqué pour quelques jours. Au début septembre, l’offensive ferroviaire reprend: le nœud ferroviaire est à nouveau bloqué, son personnel est licencié. Le 6 septembre un cameraman de la télévision moldave qui voulait filmer la gare est tabassé par la police locale et son matériel confisqué. Traîné devant un tribunal le 7 septembre, il est condamné à 15 jours de prison pour agression envers la force publique et entrée illégale sur le territoire.
Les grandes organisations internationales sont alertées. Comme ailleurs dans l’ancien espace soviétique, les nationalismes sont à vif. Manifestement, les Transnistriens, conscients du soutien indéfectible de Moscou, cherchent le conflit ouvert dans l’espoir de renforcer leur position.
Leur calcul n’est peut-être pas faux dans la mesure où la Moldavie, qui a de surcroît la malchance d’être encore gouvernée par un parti communiste, est complètement isolée sur la scène internationale.
