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Parlez-vous «Schwyzenglisch»?

Le schwyzertütsch, qui se parle mais ne s’écrit pas, favorise la prolifération d’anglicismes, signe qu’il reste une langue bien plus vivante que le français. Sans craindre les foudres des puristes, les Alémaniques créent des néologismes à tour de bras.

«Hoi, bisch fit?», «Piis», «See ya».

Scène de la vie quotidienne le long de la Limmat. Des jeunes se saluent dans un idiome à mi-chemin entre l’anglais et le suisse allemand. Ils se disent: «Salut (Hoi), ça va (bist du fit)?» Le mot «fit» (en forme) est directement importé de l’anglais. Tout comme «Piis», transcription de l’anglais «peace» (paix) utilisée comme formule de bienvenue, et «see ya», adaptation de «see you» (à toute al’).

Intégrer de l’anglais fait jeune et branché dans toutes les langues, il suffit de regarder les publicités pour s’en convaincre. Mais en Suisse alémanique, on s’adonne aux joies du «schwyzenglisch» avec davantage de jubilation qu’ailleurs: le dialecte n’existant que sous une forme orale, il intègre particulièrement bien les nouveaux mots. Et il ne se trouve aucun puriste chasseur de néologismes aux consonances anglo-saxonnes. De toute évidence, le schwyzertütsch n’a pas la même signification identitaire pour la majorité alémanique que le français pour la minorité romande.

Pour présenter des excuses, le Suisse allemand dit «sorry». Une formule devenue quasi-officielle puisque employée même sur les panneaux d’autoroute qui annoncent des travaux. Outre Sarine, un employé «clever» trouvera toujours un «job» dont il sera «happy». Certains termes sont institutionnalisés: das Baby, die Comics (bande dessinée), das Countdown (le compte à rebours). Pour parler de la renommée d’une personne ou d’une société, on n’utilise plus que le mot «Image», à prononcer à l’anglaise – ce qui donne quelque chose comme «Imédsche» avec l’accent.

L’anglais confronté au dialecte donne lieu à de véritables créations: fumer («rauchen», en bon allemand) se dit par exemple «smööge», un dérivé de «smoke»; faire du snowboard est devenu «snööbe» et le shopping a engendré «shoppe». «Foode» signifie manger rapidement tandis que «ässe» («essen») s’emploie pour un repas au restaurant. Une ellipse saisissante: danser en boîte se traduit par «shake», de l’anglais «secouer».

Autre variante de schwyzenglisch: on peut mélanger les langues. L’expression «Voll easy» – un équivalent de «cool-tranquille» – est constituée d’un adverbe allemand («voll», qui signifie complètement) et d’un adjectif anglais («easy», facile). Plus étrange, l’expression «Erfolgstory», dérivée de la «success story» américaine, ne se traduit qu’à moitié.

Au royaume du dialecte, l’anglais prend des allures d’espéranto. La chaîne de télévision privée de Roger Schawinski – Tele 24 – fait actuellement une campagne d’affichage avec slogans et messages uniquement en anglais. Paradoxal pour un canal qui a adopté une stratégie de proximité. Mais même chez SRG SSR Idée Suisse – l’ancienne Société Suisse de Radiodiffusion – on est sensible à la dimension fédératrice de la langue de Tony Blair: les véhicules des équipes de télévision qui sillonnent Zurich sont estampillés «Swiss TV».