LATITUDES

«Payons la formation des médecins avec leurs heures sup»

Le professeur Francis Waldvogel a été chargé de préparer la réforme du financement des études de médecine en Suisse. Il dévoile son projet en exclusivité.

«Tout le monde se plaint de la baisse de qualité de la formation des médecins suisses. Mais personne ne peut déterminer exactement comment leurs études sont financées, en particulier les spécialisations. C’est un grand marais, dans lequel se mélangent les universités, la Confédération, les cantons et les hôpitaux. D’autant qu’il y a des différences en fonction des cantons, voire des hôpitaux.»

Ancien président du Conseil des Ecoles polytechniques fédérales, Francis Waldvogel dirige un groupe de travail chargé de trouver des solutions pour mettre de l’ordre dans le financement des études de médecine.

Une tâche ambitieuse qui passionne ce médecin: «L’avenir de la profession me tient à coeur. La Suisse veut et peut avoir la meilleure médecine du monde mais ne doit pas se reposer sur ses lauriers. Il faut donner à la jeune génération la possibilité de se former correctement, sans creuser les déficits.»

Francis Waldvogel s’est plongé dans les comptes afin de mettre au point une nouvelle formule. La «fenêtre de tir» est idéale pour réformer le système car le Parlement a exigé qu’en 2008 une nouvelle loi sur l’aide aux universités et aux hautes écoles entre en vigueur.

Par ailleurs, pour la même année, la médecine devra s’intégrer dans la réforme universitaire de Bologne. En dernier lieu, la nouvelle loi sur la formation des professions médicales sera aussi présentée au Parlement prochainement. Le tout, sur fond de révision de la Loi sur l’assurance maladie (LAMAL).

C’est donc maintenant ou jamais qu’il faut mettre en place une structure solide de financement. Francis Waldvogel détaille son projet en exclusivité.

Combien coûte le système actuel?

Après six ans d’études universitaires, le médecin doit s’engager dans une formation post-graduée, qui s’effectue souvent dans le cadre d’un hôpital universitaire. Il existe une formation accélérée de généraliste en deux ans, mais la spécialisation d’un médecin dure en moyenne cinq à six années, pendant lesquelles son salaire annuel s’élève à 100’000 francs, si l’on inclut les charges sociales.

Comme nous comptons aujourd’hui 2000 médecins en formation post-graduée, cela représente 200 millions de francs par an.

Pourquoi la collectivité dverait-elle payer cette formation post-graduée alors qu’elle ne finance pas le MBA d’un ingénieur?

Premièrement parce que le médecin n’a pas le choix: à la sortie de ses six ans d’étude, il doit entamer une formation post-graduée, au minimum de deux ans, pour pouvoir pratiquer.

Par ailleurs, un interne n’est pas comme un assistant universitaire, car en marge de sa formation il réalise des prestations (des soins, des gardes, y compris de nuit) et assume des responsabilités considérables, que l’hôpital devrait payer cher si elle n’avait pas d’internes à disposition. Il faut donc prendre en compte ces prestations dans le calcul.

On estime que la «perte d’efficacité clinique» d’un médecin en cours de formation post-graduée est d’environ 40%. Cela vient non seulement du fait qu’il passe du temps à écouter ce que disent ses professeurs, mais aussi parce qu’il est moins expérimenté, et donc moins efficace. Ces chiffres viennent de l’étude de l’économiste vaudois Luc Schenker.

Cela signifie donc que, sur les 100’000 francs par an que coûte le médecin, 60000 francs doivent logiquement être payés par son employeur pour les services rendus. Les 40’000 francs supplémentaires représentent donc ce que coûte sa formation. La question du financement revient à trouver qui doit payer ces 40’000 francs.

Qui doit payer ces 40’000 francs?

Actuellement, le financement est opaque et il varie d’un canton à l’autre. Prenons deux exemples: à Genève, l’hôpital cantonal paie tout. A Berne, l’hôpital facture 100 millions par an à l’Université. Il faut clarifier la situation, l’uniformiser et faire intervenir l’ensemble des acteurs.

Certains suggèrent que le médecin finance lui-même son postgrade. Mais sur cinq ans, cela revient à 200000 francs, et le médecin devrait lourdement s’endetter pour payer une telle somme. Le remboursement de sa dette serait répercuté sur ses tarifs, et donc les assurances. Faire payer la Confédération ou les Cantons? Peu de chances politiques. Quant aux assurances, elles augmenteraient leurs primes. Mon idée s’appuie sur la modification de la loi sur le travail.

Il y a peu, les médecins assistants travaillaient jusqu’à 70 heures par semaine, mais ce temps de travail a été ajusté à la baisse. Dès le 1er janvier 2005, dans une structure hospitalo-universitaire, le médecin ne devra travailler plus que 42 heures par semaine, pour le même salaire qu’avant, avec un maximum de 8 heures supplémentaires.

Au lieu de verser de l’argent pour ces 8 heures supplémentaires, je suggère que l’hôpital les compense sous la forme d’une formation de première qualité.

Pour économiser, l’hôpital pourrait diminuer la formation. Comment garantir la qualité de son enseignement?

Chaque année, une évaluation de la qualité de l’enseignement sera effectuée par des audits externes et par l’intermédiaire de questionnaires aux médecins en formation. Si cette qualité n’est pas garantie, l’hôpital perdra son accréditation de centre de formation dans un secteur donné. Il pourra alors engager des médecins au prix qu’il veut, mais les internes ne pourront plus aller s’y former.

Ce système offre des avantages: l’équilibre budgétaire, la transparence du financement, et surtout, les centres hospitaliers et les médecins sont mis sur la sellette pour offrir une formation post-graduée de première qualité. Il y a 1350 centres de formation en Suisse, pour l’ensemble des spécialités.

Si ces centres ne jouent pas le jeu, ils ne pourront engager que des médecins déjà formés, et donc plus chers. Un contrat liera le centre hospitalier et le médecin en formation. L’un s’engagera à fournir la formation, l’autre un travail de qualité. Autre avantage de ce système, l’évaluation encouragera les petits hôpitaux à s’associer. Ainsi, Morges, Orbe et St-Loup décideront de réunir leurs forces afin de garantir la qualité de la formation et d’éviter de perdre leur accréditation de centre formateur.

Quel est le calendrier?

D’ici à la fin du mois de novembre, nous remettrons au Département de l’intérieur notre projet. L’ensemble du descriptif de réorganisation de la formation médicale sera entre les mains de Pascal Couchepin avant la fin de l’année, pour la mise en consultation.

Fin 2005, tous les textes devront être prêts pour une soumission en 2006 au Parlement. La réforme se fera, je suis confiant. Il ne faut pas oublier que les internes et chefs de clinique d’aujourd’hui sont les acteurs du système de santé de demain. Bien investir dans les jeunes rendra forcément des dividendes de qualité.

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Francis Waldvogel

  • 1938 Naissance à Baden (AG)
  • 1958-1964 Etudes de médecine à Genève et Paris.
  • 1966-1970 Formation postgraduée de médecine à Harvard (Boston, USA)
  • 1970 Médecin à l’Hôpital cantonal universitaire de Genève (HUG)
  • 1973 Création de la division maladies infectieuses à l’HUG, la première d’Europe. Nommé responsable de la microbiologie clinique.
  • 1990-2002 Directeur du département de médecine interne (HUG).
  • 1995-2004 Président du Conseil des Ecoles polytechniques fédérales.

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Une version de cet article a été publiée dans L’Hebdo du 11 novembre 2004.