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Drôles de manies en Roumanie

Échéance électorale cruciale en Roumanie: dimanche 28 novembre, les électeurs sont convoqués aux urnes pour renouveler les deux chambres du parlement et la présidence de la République.

Au cours de ces quatre dernières années, les anciens communistes du président sortant (il ne peut se représenter) Ion Iliescu ont joué, sans craindre le ridicule, la carte des «libertés» occidentales en obtenant (guerre d’Irak oblige, la Roumanie fait partie de la coalition et a envoyé des troupes) leur entrée dans l’OTAN avec ce que cela signifie de retombées financières dues aux bases américaines et en recherchant l’adhésion à l’Union européenne.

Une adhésion en principe acquise pour 2007 mais sujette à un possible renvoi si quelques réformes fondamentales dans le domaine de la liberté d’expression de la justice et de l’économie souterraine (corruption) ne sont pas vigoureusement entreprises. Pour le moment, cela marche à merveille, en tout cas du point de vue électoral.

Le commissaire européen Verheugen, chargé de l’élargissement dans la commission Prodi, a soutenu à fond le gouvernement en place, au point d’annoncer l’ouverture du dernier round de négociations UE-Roumanie le 24 novembre, soit trois jours avant l’ouverture du scrutin!

Chirac, Blair et la plupart des dirigeants européens annoncent l’adhésion pour 2007. Même l’Internationale socialiste est allée faire campagne à Bucarest pour soutenir le poulain d’Iliescu, l’actuel premier ministre Adrian Nastase.

Le plus comique dans l’attitude des socialistes européens est qu’ils ont refusé d’apporter leur soutien au principal candidat de l’opposition Traian Basescu, maire de Bucarest et leader du Parti démocrate membre lui aussi de l’Internationale socialiste, sous prétexte qu’il s’est allié au Parti libéral, réputé de droite.

Or les sociaux-démocrates au pouvoir gouvernent en coalition avec les nationalistes hongrois de l’UDMR, un parti pas vraiment à gauche et qu’en plus ils flirtent régulièrement avec l’extrême droite Vadim Tudor, le Le Pen roumain qui fut présent au second tour de la présidentielle il y a quatre ans.

Le magazine roumain Capital vient de publier la liste des trois cents grandes fortunes du pays. Si vous prenez en compte le fait que ces fortunes ont été réalisées en moins de quinze ans dans un pays connu pour sa pauvreté (salaire moyen d’environ 150 euros), vous avez là un magnifique panorama des bénéficiaires de cette corruption dénoncée en vain par les experts européens, mais passée sous silence par les responsables politiques de l’UE.

Or, sans une sérieuse moralisation de sa gouvernance, la Roumanie ne pourra qu’être un poids mort et une source de conflits dans cette UE qui s’apprête à l’accueillir.

Le professeur au HEI de Genève, Pierre du Bois, vient de publier un ouvrage fort intéressant («Ceausescu au pouvoir. Enquête sur une ascension», Georg, Genève, 148 pages) dans lequel il montre que, depuis la fin de la guerre, la Roumanie n’a connu que trois appareils d’Etat, les deux premiers avant 1965, le troisième, créé par Ceausescu, étant pour l’essentiel toujours en place.

Depuis 40 ans, la Roumanie n’a donc pas connu d’alternance, la courte parenthèse du passage de la droite au pouvoir entre 1996 et 2000 ayant justement été singularisée par son impuissance à mordre sur cet appareil tout puissant.

C’est dire que les partisans de Traian Basescu (ils se recrutent surtout dans les villes et dans la nouvelle classe moyenne) comptent sur lui pour entreprendre ce démantèlement. Ils risquent hélas d’être déçus.

Il est tout à fait possible que Basescu emporte la présidence au second tour de scrutin. Il est en train de pêcher des voix dans la Roumanie profonde en dénonçant la corruption, mais en flattant aussi la fibre nationaliste et xénophobe des petites gens. Mais il ne pourra en aucun cas réunir une majorité parlementaire forte et soudée, le PSD actuellement au pouvoir étant quasi assuré d’avoir une majorité relative au parlement.

La victoire de Basescu annoncerait donc une probable cohabitation avec les gouvernants actuels. Un pas en avant, certes, mais si petit, si fragile…