Enfants indomptables, parents exaspérés: la nouvelle norme fédérale donne lieu à des scènes cocasses dans les Photomaton.
«Franchement, c’est l’enfer!» La mère du petit Ilian, âgé de deux mois, ne s’est pas encore remise de la séance photos d’une demi-journée pour le passeport de son fils. Comment réussir un portrait fédéralement correct de bébé dans l’automate à photos? «C’est quasiment impossible, témoigne le père de Roman, dix mois, domicilié à Carouge. Je me suis planqué à genoux au fond de la cabine, je tenais mon fils à bout de bras, en essayant de le soulever à la bonne hauteur, sans lui couper un bout de la tête…»
Malgré tous ses efforts, la séance s’est soldée par un échec, de même que pour Karima Zwahlen: «Sur la première prise, Ilian pleurait, et sur la seconde, on voyait un bout de ma chemise!» Refoulée au Contrôle des habitants de la Ville de Lausanne, la jeune mère a dû replonger dans l’enfer du Photomaton.
Pas parce que l’administration communale est spécialement retorse, mais parce que les directives fédérales sont très strictes: «La largeur de la tête doit être d’environ 20 mm et la hauteur du visage d’environ 25 mm. Le visage doit être centré.»
Depuis l’instauration en janvier 2003 de l’obligation pour tous les mineurs de posséder leur propre passeport, les bureaux communaux n’ont pas la vie facile. «Les gens se plaignent très souvent, explique Mireille Styner, cheffe de l’Office de l’état civil à Carouge. On doit pourtant les renvoyer: il est rare que la photo du bébé convienne.»
Car même si la tête est bien centrée, il s’agit encore de répondre au règlement numéro huit, qui édicte que «les deux yeux doivent être bien visibles». Pas facile pour les parents, d’autant plus que les Photomaton pour enfants qu’on trouve en France, avec projection de dessins animés, ne sont pas encore installés en Suisse. La tâche n’est pas plus aisée pour les photographes professionnels.
«Les bébés n’ouvrent pas les yeux sur commande, explique Saïd Aiche, responsable de Photo pour Tous à Genève. Il faut parfois rester une heure avec le client, ce qui n’est pas rentable pour nous.» Chez Appixx à Carouge, Carine Schenker, gérante, s’amuse à constater que «le bébé doit avoir faim pour qu’il ouvre les yeux, mais pas trop, sinon il se met à hurler»…
Le principe selon lequel chaque citoyen doit posséder son propre passeport a été établi, en accord avec les normes internationales, non seulement pour des raisons techniques (le document doit permettre une lecture automatisée), mais également pour faciliter la tâche des autorités en cas d’enlèvement. Les parents de nouveaux-nés sont donc d’autant plus surpris que le passeport de leur bébé reste valable trois ans, alors que la morphologie évolue rapidement.
Mais les douaniers savent garder les yeux ouverts. Claire Jordi, de la Section des documents d’identité de l’Office fédéral de la police, rassure: «Ils sont formés pour reconnaître les jeunes enfants d’après la forme du visage, des yeux, des oreilles et d’après la couleur de la peau.» Pour autant bien sûr que la photo soit réglementaire…
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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 9 décembre 2004.
