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Il y a dix ans, la moitié du monde commençait à s’effondrer

Le 19 août 1989, plusieurs centaines de citoyens de l’Allemagne de l’Est profitent de leurs vacances hongroises pour passer clandestinement en Autriche puis en Allemagne de l’Ouest. L’ouverture de cette brèche entraîna la chute du communisme.

Les lecteurs des «Thibault», le roman-fleuve de Roger Martin du Gard, ne peuvent avoir oublié un des volets principaux de l’œuvre, le volume intitulé «L’Eté 1914» dans lequel l’écrivain raconte la folle plongée de l’Europe dans les horreurs de la Grande Guerre. Un monde sombrait dans l’impatience générale d’en découdre. Seuls Jacques Thibault et quelques amis tentaient de résister à l’euphorie guerrière générale…

Exactement 75 ans plus tard, au cours d’un autre mois d’août tout aussi chaud politiquement, le monde bipolaire issu de la Première Guerre mondiale commençait lui aussi à vaciller.

Depuis 1980 et les grandes victoires de Solidarnosc en Pologne, depuis l’arrivée au pouvoir en Union Soviétique de Gorbatchov et le démarrage de sa politique de perestroïka, on savait le monde communiste en ébullition. En vadrouille sur les rives de la Volga en 1987, j’ai rencontré les premiers entrepreneurs privés qui tentaient de se faire une petite place dans un système qui n’avait encore rien à voir avec l’économie de marché. Mettons que ce restaurateur de Kazan ou ce fabricant de chaussures d’Oulianovsk pariaient sur l’avenir de leurs enfants en essayant d’améliorer un peu leur présent. Mais personne n’aurait pensé que quatre ans plus tard, la puissante, la terrible, l’immense Union Soviétique ne serait plus qu’un souvenir!

On sentait donc venir la crise sans en évaluer la violence et la radicalité. Le premier signe tangible du changement des rapports de pouvoir se produisit il y a juste dix ans, le 19 août 1989. Ce jour-là, un groupe de quelque cinq cents citoyens de la République démocratique allemande (RDA) prétendûment en vacances dans une Hongrie dont les dirigeants sont aussi staliniens que les leurs, franchissent clandestinement le rideau de fer (la frontière austriaco-hongroise) pour aller demander l’asile politique en République fédérale allemande, république dont ils étaient coupés depuis l’érection du fameux Mur de Berlin en 1961. Ils n’étaient pas les premiers Allemands de l’Est à agir de la sorte. Mais pour la première fois, le mouvement était massif et l’impuissance hongroise patente.

Quatre jour plus tard, le 23 août, la contestation apparaissait au grand jour en Union soviétique même: plus d’un million et demi de personnes formèrent en se donnant la main la plus longue chaîne humaine dont on ait jamais entendu parler. Sur 560 km et à travers la Lituanie, la Lettonie et l’Estonie, les Baltes osèrent dénoncer non seulement le rattachement de leurs trois Etats à l’URSS suite au pacte germano-soviétique de 1939, mais aussi, chose inouïe, l’occupation soviétique de leurs territoires.

Le lendemain, 24 août, le Parlement polonais nommait Tadeusz Mazowiecki, un démocrate-chrétien proche de Lech Walesa et du Vatican, au poste de premier ministre. Une première dans une démocratie populaire depuis le début de la guerre froide en 1948.

Le branle était donné: les gouvernements communistes allaient tomber les uns après les autres en l’espace de quelques mois.