Je ne sais pas vous, mais moi, j’ai presque pleuré de surprise et de jubilation en voyant les Irakiens se rendre aux urnes malgré les très réelles menaces de mort.
Les élections de dimanche dernier en Irak posent une question difficile aux Européens, qui s’étaient largement opposés à l’invasion du pays et ont observé ensuite, consternés, la gestion désastreuse de l’après-guerre. La question est: sommes-nous favorables à l’émergence d’une forme de stabilité démocratique en Irak, et peut-être plus généralement au Moyen-Orient, malgré le fait que c’est ce que veut George Bush?
Ce n’est pas une question rhétorique. Les élections irakiennes n’ont pas étés parfaites. Elles ont été une approximation: les registres électoraux étaient ce qu’ils étaient; les candidats n’ont pas pu apparaître en public régulièrement ni conduire de vraie campagne; les travailleurs des bureaux de vote ont été kidnappés, menacés et parfois tués; les observateurs internationaux ont dû se limiter à «observer» depuis la Jordanie.
Une élection ne fait pas une démocratie. Les attaques n’ont pas cessé, et beaucoup de choses peuvent encore tourner mal, à commencer par l’aspect central de la représentation des minorités (Kurdes et Sunnites) dans la future structure politique du pays (qui sera vraisemblablement dominée par les Chiites, mais attendons les résultats avec calme).
Dans leur imperfection toutefois, les élections de dimanche ont été un événement prodigieux. Je ne sais pas vous, mais moi, j’ai presque pleuré de surprise et de jubilation en voyant les Irakiens se rendre aux urnes malgré les très réelles menaces de mort.
Les voir marcher vers les bureaux de vote (parce que, ce jour-là, les véhicules privés étaient interdits) ou montrer avec orgueil le doit coloré d’encre m’a fait penser avec un peu de honte à mon propre comportement électoral.
Comme la plupart des citoyens des pays où le vote est une habitude, je tends parfois à le considérer plus comme une ennuyeuse tâche domestique que comme une conquête civique précieuse et digne de grands risques.
A en juger par les commentaires entendus et lus cette semaine, de nombreux Européens, otages de leur désir de voir George W. Bush échouer, semblent ne pas se rendre compte de l’énormité de ce qui s’est passé dimanche, et de l’opportunité historique que cela représente pour la stabilisation de l’Irak, et peut-être même du reste du Moyen-Orient, si essentielle pour l’avenir de l’Europe.
En se rendant aux urnes, les Irakiens n’ont pas uniquement montré un forte conscience de leur devoir civique et désavoué ceux qui pensaient que les semences de la démocratie ne peuvent pas prendre racine dans cette partie du monde.
Ils ont également affirmé qu’ils voient leur avenir dans la liberté (c’est pourquoi ils veulent également que les soldats américains s’en aillent dès que possible) et dit leur dégoût de la terreur. J’ai lu dans un journal qu’un terroriste-suicide à Bagdad n’a réussi à faire sauter que lui-même, devant un bureau de vote, et que les citoyens crachaient sur son cadavre déchiqueté en le contournant pour aller voter.
Vrai: l’élection ne peut pas servir a posteriori pour justifier une guerre qui a été lancée pour d’autres raisons. Mais l’avenir ne se construit pas à partir d’hier ou d’avant-hier: il commence maintenant.
Indépendamment de ce que nous pensons de George W. Bush, et de la difficulté que nous éprouvons à admettre que le vote de dimanche est aussi sa victoire, les Irakiens ont gagné sur le terrain, au risque de leur vie — et certains sont morts — le droit de demander à la communauté internationale d’en finir avec ses litiges et de les aider à construire une forme stable et représentative de gouvernement au milieu d’une région explosive.
Il n’est écrit nulle part qu’ils doivent échouer. Mais s’ils échoueront, après le courage qu’ils ont montré dimanche, ce sera aussi de notre faute.
