KAPITAL

Sale temps pour les newsmagazines

Les hebdomadaires d’actualité souffrent d’une crise prolongée du marché publicitaire et d’une baisse générale du lectorat.

«L’Hebdo a perdu 800 pages de publicité depuis 2000. Mais c’est encore l’un des titres qui s’en tire le mieux! Selon nous, il s’agit d’un changement en profondeur, un changement structurel. Les annonceurs préfèrent maintenant les journaux grand public comme L’Illustré ou alors la télévision, l’affichage et la pub sur les lieux de vente.»

Daniel Pillard, directeur de Ringier Romandie (qui édite notamment L’Hebdo), confirme la tendance: les temps sont durs pour les newsmagazines, boudés par la pub depuis plusieurs mois. Les titres alémaniques, commme Facts (de l’éditeur Tamedia) et la Weltwoche (Jean Frey), sont particulièrement touchés.

Georges von Csernatony, de la direction générale de Publicitas, première régie publicitaire de Suisse, fait le même constat: les titres d’actualité généraliste ne séduisent plus les annonceurs. «Nous avons enregistré un fort recul des dépenses chez nos grands comptes. Il s’agit en particulier de grandes marques de l’automobile, de l’horlogerie ou de la mode. Ils ciblent maintenant davantage leur promotion avec l’organisation d’événements, le parrainage ou les imprimés dans les boîtes aux lettres.»

Selon Georges von Csernatony, le comportement des annonceurs a évolué: «Ils sont devenus complètement imprévisibles. De gros budgets peuvent soudain être annulés. D’autres sont commandés à la dernière minute, surtout chez les grands distributeurs. Dans la guerre des prix avec les discounters allemands, Migros, Coop ou Denner réagissent au coup par coup aux campagnes de la concurrence.»

Et ce n’est pas le déveleppement de la pub en ligne qui explique la désertion des annonceurs sur papier glacé. Ueli Custer, collaborateur de la revue alémanique spécialisée Media Trend Journal observe: «Ce sont avant tout les petites annonces comme les offres d’emplois, l’immobilier ou les voitures d’occasion, qui sont parties sur internet. Des annonces que l’on trouve essentiellement dans les quotidiens, mais pas dans les magazines.»

La désaffection du lectorat expliquerait davantage la réticence des annonceurs. La Weltwoche avait connu un fort essor suite à sa conversion de journal historique de gauche en magazine branché néo-libéral. Mais depuis 2003, le lectorat recule. Il en va de même pour les titres étrangers. La diffusion helvétique du Spiegel, titre allemand de référence, a diminué de 3,3% en une année.

Entre 2000 et 2004, le lectorat de l’hebdomadaire alémanique Facts a fondu de 14%, tandis que celui de L’Hebdo perdait 7%, note Ueli Custer. Pas de quoi s’alarmer, estime Daniel Pillard: «L’Hebdo comptait 232’000 lecteurs contre 216’000 aujourd’hui. On peut dire qu’il se concentre sur le cœur de la cible. Et nous sommes très contents de constater une forte progression chez les leaders.»

Pour 2005, Daniel Pillard affirme que le portefeuille d’annonces est prometteur, après une année noire en 2004. «Mais, ajoute-t-il, nous ne retrouverons jamais les volumes d’antan.» Des volumes portés entre 1998 et 2001 par la libéralisation des télécoms et la bulle financière.

Georges von Csernatony détaille cette période faste: «Il y a eu la décartellisation dans les secteurs de la banque et des assurances et, avec internet, des nouvelles technologies qui ont donné un coup de fouet aux volumes d’annonces. Pour retrouver le niveau record de l’an 2000, il faudrait un événement extraordinaire, comme une nouvelle révolution technologique ou un bouleversement politique. Un changement qui est peut-être déjà là mais que nous ne voyons pas encore.»

En clair, après une période d’opulence à la fin des années 90, les magazines d’actualité doivent maintenant fonctionner à des coûts nettement inférieurs. L’Hebdo a subi une nouvelle restructuration en automne dernier, après un premier remaniement en 2003. A nouveau, plusieurs postes de travail ont été supprimés. Daniel Pillard considère que ces efforts portent maintenant leurs fruits: «La situation est encourageante. Les ventes en kiosque ont gagné 10% en 2004. Elles continuent à progresser. Et le parc d’abonnés est solide.»

La situation de la presse dominicale alémanique est un peu différente, mais pas beaucoup plus rose que celle des newsmagazines. «Le marché des hebdomadaires est très difficile. Or la presse dominicale est paradoxalement un domaine en croissance.» C’est ce que relève Christoph Bauer, chef marketing des éditions Neue Zürcher Zeitung.

Le groupe a lancé 2002 NZZ am Sonntag, nouveau venu sur le marché dominical. Selon Christoph Bauer, ce titre touche une clientèle qui jusque-là ne lisait pas de journal le dimanche.

Une consécration pour Tobias Trevisan: responsable du lancement de NZZ am Sonntag, il a été récemment débauché par la Frankfurter Allgemeine Zeitung. Ce Suisse d’origine bâloise dirigera donc dès septembre prochain ce monument de la presse allemande.

Si les recettes publicitaires globales restent faibles pour la presse dominicale alémanique, le nombre de suppléments publicitaires encartés a en revanche explosé (+54,8% entre 2001 et 2004), indique Media Trend Journal. Sur le marché des annonces, la NZZ am Sonntag a gagné du terrain sur ses concurrents en 2004. Selon Ueli Custer, c’est clairement parce que ce titre se positionne dans le haut de gamme, avec un lectorat fortuné. Sa part de marché est néanmoins toujours la plus faible, avec 24,4%, face aux 33,7% de la SonntagsZeitung (Tamedia) et aux 42% du SonntagsBlick (Ringier).

Reste que personne ne peut vraiment pavoiser. Selon la société de Recherches et études de médias publicitaires (REMP), le lectorat réel des trois journaux a fortement baissé en 2004.

Mais malgré le marasme, certains titres tirent leur épingle du jeu. C’est le cas de Tout compte fait, le partenaire économique du magazine de consommation Bon à Savoir, des Editons Plus Sàrl. Lancé en mai 2003, ce titre de conseil financier tout public a déjà gagné 68’000 lecteurs, quand le mensuel PME Magazine en réunit 59’000. Le journal Bon à Savoir est considéré de son côté comme un phénomène de l’édition romande. En sept ans d’existence, il a conquis quelque 390’000 lecteurs.

Et puis la presse féminine semble porteuse. Le magazine Edelweiss (Ringier) s’illustre avec un bond de 28% en 2004, à 90’000 lectrices. Quant à l’édition française de Elle, elle enregistre une progression similaire sur le marché helvétique, pour atteindre 58’000 lecteurs.

Peut-être que dans la presse aussi, la femme est l’avenir de l’homme…