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La mort d’un croisé

C’est sur une colline, le doigt pointé sur Jérusalem pour indiquer la bonne direction aux preux volontaires à la reconquête du Saint Sépulcre, que le défunt Jean Paul II eût dû poser pour la postérité. Car, plus que ses prédécesseurs, le pape Wojtyla eut le souci de combattre l’infidèle, renouant ainsi avec une tradition moyenâgeuse de l’Eglise catholique.

Comme je le signalais il y a un an et demi lors de sa première agonie télévisée, le pape avait tenu pour célébrer les 25 ans de son règne à rendre hommage, à Pompéi, à la Vierge Reine des Victoires. La victoire en question n’était autre que celle remportée sur les Turcs, à Lépante en 1571, par la flotte chrétienne de la Sainte Ligue armée par l’Espagne, Venise et le Saint-Siège.

Dans leur enthousiasme, les catholiques s’imaginèrent alors pouvoir en finir avec l’islam, oubliant naïvement la triple division de la chrétienté entre sectateurs du pape, des popes et des évangéliques et, surtout, la perte d’influence du Proche-Orient sur l’économie entraînée par la première mondialisation due à la découverte de l’Amérique et du contournement de l’Afrique.

Que plus de quatre siècles après cette victoire éclatante mais sans lendemain, Jean Paul II se soit cru obligé de la rappeler montre surtout une chose, le caractère médiéval de sa pensée, de son ancrage religieux, de sa vision du monde.

Dans les faits, cela s’est traduit par son refus de l’œcuménisme, par la démesure de sa tentative de réintroduction du culte des saints, par l’exacerbation populiste du culte marial, par le recours déraisonnable à l’obscurantisme présidant la croyance à des mystères confinant à l’imposture comme le fameux secret de Fatima. Il n’y a pas de doute: à l’heure du bilan, ce sont ces réalités-là qui s’imposent.

Ce sont elles qui vont entrer dans l’histoire en compagnie de ce pape polonais dont on crut longtemps, parce qu’il était venu du froid et qu’il avait contribué de manière décisive à la chute du communisme, qu’il était progressiste. En réalité, son «progressisme» ne fut qu’une mince couche de vernis médiatique astucieusement utilisée par d’habiles professionnels de la mise en scène.

Cela commença avec des images de pape jeune et sportif abandonnant sa blanche soutane pour dévaler les blanches pentes du mont Blanc.

Cela se poursuivit avec une fringale voyageuse parfaitement en accord avec les idées d’un temps où celui qui ne fait au moins un tour du monde par année passe pour le dernier des péquenots.

Cela prit une tournure fétichiste avec l’invention de la papamobile, le nec plus ultra du moyen de locomotion individualisé antiterroriste.

Mais ce recours à des artifices publicitaires eut tôt fait de révéler sa vraie nature de résurgence sulpicienne, tout juste bonne à ravir (dans le sens provençal que l’on donne à «lou ravi») nonnes et nonnettes en manque d’émotions: loin de baigner dans les idées de son temps comme pouvait le faire croire la médiatisation de ses activités, le pape n’était en fait qu’un fieffé réactionnaire.

La preuve? Arrivé au Vatican alors que la crise avec le schisme des intégristes d’Ecône battait son plein, il est parvenu à freiner le mouvement, à le vider de sa substance en restaurant l’essentiel des valeurs défendues par les partisans de Mgr Lefèvre.

En fin de compte, le vrai bilan qui s’impose après le long règne de Jean Paul II est l’anachronisme de sa fonction. Hiérarchisée sur des principes de droit divin issus de la pensée politique du haut moyen âge, à une époque où Charlemagne promenait sa barbe fleurie à travers l’Europe, la fonction papale doit être repensée. Le chef des catholiques ne peut plus régner en monarque absolu clamant «urbi et orbi» à un monde agenouillé «l’Eglise, c’est moi!».

Il y a près de cinquante ans, Jean XXIII en avait perçu la nécessité en lançant la modernisation à travers la convocation d’un concile. Sa mort prématurée ramena les conservateurs aux commandes. Il n’est pas défendu d’imaginer que du prochain conclave sortira un pape réformateur qui permettra aux catholiques, clercs et laïcs, de vivre en harmonie avec la société civile. En posant, bien sûr, qu’une telle harmonie soit possible.

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