Jose Luis Rodriguez Zapatero dessine, dans une discrète efficacité, les contours d’une alternative de gauche aux politiques de droite appliquées aujourd’hui dans la quasi totalité des Etats européens. Un exemple pour les socialistes français, et suisses.
Où regarde la gauche européenne en ce printemps 2005? Ces jours-ci, elle a les yeux fixés sur Paris en raison du bras de fer qui oppose une partie de la direction socialiste emmenée par François Hollande à Laurent Fabius (soutenu selon les sondages par deux électeurs socialistes sur trois!) dans la campagne référendaire sur l’adoption de la nouvelle Constitution européenne.
Réunis au Cirque d’hiver mercredi 18 mai, divers représentants des partis européens sont venus répéter la nécessité d’approuver la Constitution pour que, ainsi que le proclama Jiri Paroubek, le tout nouveau premier ministre tchèque, le 30 mai «toute l’Europe ait l’occasion de faire la fête».
A en croire les derniers sondages, il y a peu de chances pour que le 30 mai prochain l’Europe en général et les socialistes en particulier fassent la fête. C’est d’autant plus regrettable que les règlements de compte qui suivront empêcheront selon toute probabilité la gauche française de se donner de vrais objectifs avant la fatidique échéance de la présidentielle 2007.
Or la France, en raison de son poids, de son histoire, de ses révolutions joue un rôle majeur en Europe. Nous avons vu que la droite phagocytée par un l’opportunisme chiraquien s’est durablement discréditée. La gauche est en train de faire de même à cause des divisions de son groupe dirigeant.
Et si, comme tout l’indique, la victoire du non va faire réapparaître Lionel Jospin, cette crise va durer elle aussi: malgré ses dernières prises de position, Jospin est en effet le principal responsable du tournant souverainiste des socialistes français pour le peu de cas porté à l’Europe pendant ses cinq longues années de pouvoir entre 1997 et 2002.
Cette crise socialiste française venant s’ajouter à la dérive impérialiste de Tony Blair au Proche Orient, à l’échec réformateur de Gerhardt Schröder, aux cafouillages combinatoires de Romano Prodi augurerait mal de l’avenir social-démocrate européen si un homme, Jose Luis Rodriguez Zapatero, n’était en train de dessiner, dans une discrète efficacité, les contours d’une alternative de gauche aux politiques de droite appliquées aujourd’hui à la quasi totalité des Etats européens.
Son truc? Tenir compte de la globalisation et des limites qu’elle impose à chaque Etat-nation pour, en attendant une modification du rapport de force au niveau mondial, réformer ce qui est en son pouvoir, la société civile en premier lieu.
Arrivé aux affaires dans des conditions exceptionnelles et imprévues, Zapatero applique méthodiquement depuis un peu plus d’un an un programme qui, présenté dans une campagne électorale, se fût au mieux attiré les sarcasmes des bien pensants de gauche et de droite, au pis quelques vagues sourires dédaigneux. Soutenu par une forte proportion de l’électorat (entre 60 et 70%), Zapatero avance à pas de géant dans son entreprise de modernisation, d’«aggiornamento», de la société espagnole.
Un exemple? Depuis le début du mois, son gouvernement a mis en route la régularisation de 700’000 travailleurs clandestins (7 mai), défendu au Parlement la loi sur le mariage gay (11 mai), obtenu du parlement son soutien à une reprise du dialogue avec ETA (17 mai). Qui dit mieux?
Si l’on rappelle qu’au cours des mois passés, il a aussi osé affronter l’Eglise sur le terrain délicat de l’enseignement privé, qu’il a amélioré les lois sur le divorce et l’avortement, promulgué de nouvelles lois protégeant les femmes contre les violences et contre les discriminations au travail, augmenté le salaire minimum, légiféré sur les cellules souches, liquidé les derniers monuments franquistes et gagné le référendum sur la Constitution européenne, on peut constater que la gauche européenne et extra-européenne (en particulier les socialistes suisses) a tout intérêt à quitter des yeux les capitales fondatrices pour lorgner du côté de Madrid.
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Dans «Aux sources de l’esprit suisse», son dernier livre, Gérard Delaloye raconte l’évolution de la notion d’helvétisme, de Rousseau à Blocher.
