KAPITAL

Quand l’entreprise offre des massages à ses employés

Pour prévenir les effets du stress, de plus en plus de travailleurs se font masser sur leur lieu de travail. Et les employeurs commencent à payer la facture.

La pause massage fait des ravages. Les employés suisses sont toujours plus nombreux à se faire pétrir au bureau, pour prévenir le stress et maximiser leurs performances. Ces séances sont parfois même offertes par l’employeur.

Le stress au travail coûte 4 milliards par an à l’économie suisse, indique une enquête du Secrétariat d’état à l’économie (Seco). Les entreprises se rendent compte de leur intérêt à offrir des séances de massage préventif à leurs collaborateurs.

La multinationale de l’aluminium Alcoa s’apprête à lancer un projet pilote sur son site lausannois qui permettra à ses employés de bénéficier d’un quart d’heure de massage assis durant leur temps de travail.

«Partant du principe que l’employé gagne en efficacité, on a décidé de prendre en charge la majeure partie des coûts», explique Sandra Ferreira, psychologue du travail et coordinatrice des projets de santé et de sécurité chez Alcoa.

En entreprise, les masseurs appliquent le plus souvent la technique Amma, à base d’acupressure, sur une chaise conçue à cet effet. Les clients sont assis et habillés. Cette méthode se base sur la médecine traditionnelle chinoise et comprend dix minutes de massage sur le dos, les bras et les mains, suivies de cinq minutes tonifiantes.

Angélique Robert pratique cette technique depuis plus de trois ans. La demande était telle qu’elle a pu monter sa propre société de massages en entreprise et à domicile, L’Art du Toucher, à Cully.

Les cadres ne sont pas les seuls à profiter de la tendance. «En février, à trois, nous avons massé les 250 employés de l’usine de Boncourt de British American Tobacco en une semaine», raconte Angélique Robert.

Les frais, soit environ 1500 francs, ont été pris en charge par l’entreprise. Les collaborateurs du site de Lausanne peuvent également bénéficier des services de L’Art du Toucher une fois par mois durant le travail. «BAT leur en fait cadeau pour les remercier et créer un esprit d’entreprise», précise Hélène Ferreira du département de communication.

La promotion du bien-être au travail permet aux masseurs d’exploiter ce créneau. Si la concurrence n’est pas encore trop rude en Suisse romande, les tarifs sont inégaux. Il faut compter entre 15 francs et 35 francs le massage d’une quinzaine de minutes.

Les mardis, Francelina Da Costa, directrice et fondatrice de Bouffée d’R à Nyon, masse chez Hewlett Packard à Meyrin (GE) depuis un peu plus d’une année. Les coûts sont répartis entre l’employeur et les employés.

«Cette démarche s’inscrit dans le cadre de notre programme de sensibilisation ergonomique, relève Petra Bohmann, initiatrice du projet et membre du club des employés. La multinationale investit environ 400 francs par mois pour ces massages.»

Les employés occupant des fonctions difficiles pour les nerfs font parfois des demandes spéciales auprès de leur employeur. C’est le cas de quelques collaborateurs du «call center» de Swisscom à Lausanne.

Suite à leur sollicitation, la direction a mis une salle à la disposition d’une masseuse et autorisé les téléphonistes à passer leurs 20 minutes de pause sur la chaise de massage, mais à leurs frais.

Un des auteurs de la recherche du Seco sur le coût du stress en Suisse, Julien Perriard, explique que les individus se plaignant du surmenage sont effectivement plus nombreux qu’il y a 10 ans. A l’heure où l’emploi devient moins stable, les massages au bureau s’inscrivent dans le cadre d’une réflexion globale sur la prévention et la motivation. Mais pour le psychologue du travail, ils ne sont pas une priorité et n’amélioreront pas l’état de santé de l’employé, «car sa pile de dossiers en retard n’a pas diminué lorsqu’il revient de la pause massage».

Au-delà du bien que peut procurer la technique Amma, Alberto Munari, professeur en psychologie de la formation et des ressources humaines à l’Université de Genève, estime que l’impact est surtout psychologique: «Les collaborateurs aiment voir que les entreprises se préoccupent de leur santé, dit-il. Cela crée un climat positif: un enjeu central si l’on veut fidéliser ses employés.»

Conséquence du phénomène: le massage s’est popularisé dans les milieux d’affaires. Nicole Rudaz Thum, directrice de l’Institut Mao à Genève, propose depuis peu des massages assis sans rendez-vous: «Les employés du quartier des banques viennent durant leur pause et apprécient l’aspect rapide et efficace du massage, sans huiles ni crèmes.»

Décomplexés, les hommes d’affaires — à l’instar des voyageurs business class de Virgin Atlantic — n’hésitent donc plus à se faire masser aux yeux de tous et à parler de leurs besoins de détente, en entreprise ou ailleurs.

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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 7 juillet 2005.