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L’émergence des créatifs redessine la Suisse

A l’insu des élites politiques et économiques, une nouvelle catégorie de citoyens est en train de changer le pays en profondeur. Cette classe créative représente près de 20% de la population active. Explications.

Helsinki, Dublin, Grenoble, Toulouse, Barcelone, Valence émergent comme des métropoles nouvelles dans une Europe en pleine transformation.

Le point commun entre ces nouveaux acteurs? C’est leur capacité à se positionner clairement dans une compétition internationale pour exister — sur le plan économique, intellectuel et culturel — au sein de la société de la connaissance.

En devenant des acteurs mondiaux des technologies des télécommunications (Helsinki), de l’innovation (Dublin), de la nanotechnologie (Grenoble), de l’aéronautique (Toulouse), de la culture et des échanges (Barcelone), de la nautique et du tourisme (Valence), ces métropoles ont su attirer la matière la plus rare aujourd’hui: les créatifs.

D’un domaine à l’autre, la spécialisation territoriale s’exprime, et la création de richesses suit le mouvement.

Face à ces changements, la représentation géographique traditionnelle paraît souvent obsolète. Il en va de même en Suisse. En 2004, nous avons découvert une nouvelle image du pays, issue du recensement de la population de l’an 2000.

La répartition de la population suisse se cristallise désormais autour des centres que sont Zürich, Bâle et l’Arc lémanique (et dans une moindre mesure aussi un peu le Tessin et le Mittelland bernois).

On assiste ainsi à la constitution de grandes agglomérations qui deviennent autant de moteurs du développement. Les espaces entre elles se remplissent progressivement pour former un grand «cluster» du plateau suisse (à l’exception du Tessin).

Au même moment, dans les montagnes, on voit se dessiner un «Heidi Land» qui se dépeuple, mais qui vit de cette ville adjacente. La Suisse se constitue ainsi sur deux poumons antagonistes mais complémentaires: le High-Tech Land et le Heidi Land.

L’ancienne vision politique d’un équilibre national — offrant des prestations et services identiques pour les populations des montagnes et des plaines — est en train de s’estomper. C’est le résultat de cinquante ans d’un développement urbain et suburbain qui n’a pas été planifié, mais soumis aux forces économiques et citoyennes. La force politique et ses plans directeurs n’ont joué qu’un rôle marginal.

L’urbanisation de la Suisse va continuer selon le schéma décrit ci-dessus, car l’inertie de développement reste considérable. Des mouvements inédits vont toutefois apparaître, du côté d’une nouvelle classe de la population que l’on pourrait appeler la classe créative.

S’il y a émergence d’une société de la connaissance, alors il doit y avoir émergence d’une classe créative qui la porte: telle est l’hypothèse que formule Richard Florida, professeur à la fameuse Université George Mason, près de Washington, dans un cialis jelly online récent à succès.

L’hypothèse est non seulement séduisante, mais aussi convaincante. Examinons, dans les grandes lignes, son raisonnement. A chaque fois qu’il y a eu un véritable changement historique de société, ce changement a été marqué par l’apparition d’une classe socio-économique qui activement l’anime. Ce modèle est toujours valable: une nouvelle classe créative participe à l’émergence de la société de la connaissance.

Comment la décrire?

Richard Florida voit d’abord un groupe formé par les purs créatifs comme les chercheurs et inventeurs, les informaticiens et les développeurs de technologies nouvelles, les entrepreneurs, les designers industriels et architectes, les publicistes et les gens du marketing, les réalisateurs médias et les journalistes, les consultants et conseillers, les gens de la mode et de l’artisanat d’art, et enfin les artistes, les écrivains, les musiciens et acteurs.

Ensuite, un second groupe formé de professionnels à forte valeur ajoutée comme les analystes financiers, les business angels et venture capitalists, les avocats d’affaires, les médecins innovants, les ingénieurs et autres techniciens créatifs, les psychiatres et psychologues ainsi que des individus provenant d’autres professions mais ayant une capacité particulière à l’innovation.

Ce deuxième ensemble a la particularité de produire du neuf à partir de l’ancien, et surtout, il représente, toujours selon le professeur Florida, 30% des travailleurs américains.

Etonnant! Car, tout à coup, nous avons affaire à une classe nouvelle doté d’un poids considérable: ils sont nombreux et d’une importance vitale à l’essor économique.

Où vivent ces créatifs?

Le plus surprenant vient du fait que ces créatifs vont avoir tendance à se concentrer dans certaines villes, au détriment d’autres régions. Il ne s’agit plus d’une opposition ville-campagne, mais d’une concurrence entre grands centres urbains mondiaux, entre «clusters», selon la terminologie américaine.

Boston, San Francisco, Seattle, Austin, Atlanta et Toronto sont des villes maintenant plus prisées que Chicago ou Detroit. De leur côté, des agglomérations comme Buffalo, Memphis ou Louisville n’ont carrément plus aucune chance. Tel est le nouvel exode: les créatifs choisissent des villes tolérantes et bouillonnantes mais offrant surtout une grande qualité de vie. Les centres se déplacent, l’économie aussi.

Qu’en est-il en Suisse?

D’abord, si l’on prend les catégories socio-professionnelles définies ci-dessus, on peut estimer à plus de 700’000 le nombre de créatifs en Suisse, soit près de 20% de la population active. Et ce nombre va sans doute continuer à croître.

Nous avons donc en Suisse, et aussi au Tessin, une classe nouvelle en formation. Elle se retrouve tout naturellement dans de nombreux network-events organisés par des institutions nouvelles dont elle s’est dotée, tels que les First Tuesdays, NETS, APTE, STEPS ou autres associations.

Les animateurs de ces réseaux sont des têtes nouvelles sans lien ou presque avec l’ancien régime. Si bien que la classe politique, ou l’establishment, n’a même pas pris conscience de ce phénomène.

Les conditions de l’environnement économique, social et urbain sont réunies pour attirer en Suisse davantage de créatifs. Mais la volonté politique, quant à elle, reste absente (et peut être même opposée, si l’on songe que l’on n’est même pas capable de garder les chercheurs étrangers formés dans nos propres grandes écoles: savez-vous qu’un doctorant étranger fraîchement diplômé doit quitter le territoire dans les quinze jours?).

Si la Suisse veut à l’avenir jouer un rôle dans le monde, elle devra sérieusement se mobiliser pour entrer dans la société de la connaissance. Et favoriser l’émergence de sa classe créative.

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Xavier Comtesse, mathématicien, est le directeur romand de la fondation Avenir Suisse, think tank financé par les grandes entreprises de Suisse. Il collabore occasionnellement à Largeur.com.