A 38 ans, elle est devenue en quelques mois la femme la plus regardée de Suisse romande. Elle raconte comment elle vit cette notoriété et les défis politiques dont elle rêve pour l’avenir.
On racontait que la notoriété l’avait rendue hautaine, voire distante. Esther Mamarbachi efface cette image en un sourire dans le hall nouvellement refait de la Télévision suisse romande. Accueillante et patiente, la journaliste reçoit en toute simplicité et avec humour.
«Je n’ai pas changé de mode de vie. Je viens bosser à vélo, sans maquillage et vêtue d’un jeans. Je me transforme en présentatrice le temps du 19:30, puis je redescends dans mon univers.»
Dans les locaux d’«actu», là où se mitonnent chaque jour les journaux télévisés, la femme la plus regardée de Suisse romande raconte son parcours, sa vision du journalisme et ses projets d’avenir.
Comment vivez-vous cette dualité entre l’élégance, voire la froideur, de votre image publique et la simplicité chaleureuse de votre personnalité hors antenne?
J’aime pratiquer mon métier avec professionnalisme et l’un des aspects, selon moi, consiste à soigner une apparence impeccable. Par exemple, je m’habille chez Paul Smith à Paris ou Armani à Milan, ce qui ne se faisait pas auparavant à la TSR. Pour le reste, je crois que chaque présentateur développe un certain style. Par exemple, Claire Chazal cultive la proximité, le dialogue intime avec son audience. Elle chuchote presque, avec des caméras très proches qui accentuent cet effet.
Personnellement, j’ai beaucoup travaillé ma voix depuis mes débuts à la télévision. C’est surtout l’intonation qui donnait une image de froideur car le stress se communique très rapidement par la voix, en particulier chez les femmes. On me fait heureusement beaucoup moins ce reproche depuis quelque temps.
La notoriété a-t-elle changé quelque chose dans votre vie?
Généralement, on met du temps à me reconnaître dans la rue ou au supermarché car je suis habillée très différemment, alors on me fixe sans me «remettre» tout de suite! Je reçois beaucoup de courrier. Cela prend du temps, mais je réponds à tout, sauf aux demandes en mariage. J’en ai déjà reçu plusieurs! La plupart des messages sont cordiaux, certains correspondants commentent mon apparence, corrigent ma prononciation, d’autres envoient des cadeaux — une fois j’ai reçu 10 kg d’asperges! Les méchants sont généralement anonymes.
Contrairement à Darius Rochebin, je participe peu à la vie mondaine et j’évite d’apparaître dans la presse lorsqu’il s’agit de parler de ma vie privée car je veux préserver ma famille. D’ailleurs, ma vie familiale n’a pas changé. Je ne parle presque jamais de mon travail à la maison et je vais toujours courir deux ou trois fois par semaine pendant une heure. Il faut relativiser cette notoriété très régionale: dès que je pars en Espagne, comme cet été en vacances, personne me reconnaît.
PPDA gagne 800’000 francs et Claire Chazal 400’000 francs par an. Et vous?
Je gagne environ 100’000 francs brut par an. C’est à peu près le salaire que je gagnais déjà comme journaliste, sauf que maintenant j’ai droit à une prime de 500 francs par mois pour la présentation du 19:30. C’est peu si l’on considère que j’engage fortement mon image en présentant l’émission la plus regardée de la TSR. Chaque soir, je dois être au meilleur de ma forme.
La TSR souffre du manque de concurrence sur le marché romand, c’est ce qui explique sa politique très égalitaire en matière salariale.
Qu’est-ce qui vous a poussé vers la télévision?
Ce que j’aime, c’est la news. En arrivant ici, après avoir travaillé au Journal de Genève et au Temps, l’écrit m’a beaucoup manqué. On a une telle indépendance dans un journal: tout seul, on rédige son papier comme on veut. A la télé, il faut composer avec toute une équipe.
Mais contrairement à beaucoup de journalistes, je n’ai jamais rêvé de devenir grand reporter à Temps Présent. Moi, je voulais faire du débat politique, et du direct. Je me shoote à l’adrénaline du direct. Dès qu’il faut enregistrer un truc en différé, je n’aime pas.
Quelle vie imaginez-vous après la présentation du TJ?
Cela va vous surprendre, mais je ne me vois pas forcément poursuivre une longue carrière à la télévision. Je trouverais par exemple passionnant de travailler pour la communication d’un homme politique. Si la personnalité est intéressante, le parti n’a pas tellement d’importance. Le défi serait génial.
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Du théâtre à l’écran
Née le 26 juillet 1967 à Fribourg, Esther Mamarbachi est Syrienne par son père et Espagnole par sa mère.
A 15 ans, elle débute sur les planches en suivant les cours de la comédienne Gisèle Sallin au Conservatoire de Fribourg. Elle conservera longtemps cette passion pour l’art dramatique, utile aujourd’hui dans son métier de présentatrice: «Darius rêvait d’être acteur, comme beaucoup de monde à la télévision. Moi, je manquais de courage à l’époque, alors j’ai choisi un parcours plus classique.»
Lorsqu’elle a 18 ans, ses parents quittent la Suisse pour l’Afrique et sa sœur part pour Madrid. «Je me suis retrouvée toute seule et je suis partie à Genève pour suivre des études de sciences politiques. Le virus de la politique suisse ne m’a jamais lâché, une véritable passion.»
Pendant ses études, elle développe sa pratique de l’écriture en travaillant pour L’Hebdo et le Nouveau Quotidien. A la fin de ses études, Esther est engagée à l’Agence télégraphique suisse (ATS) à Berne, où elle accomplit son stage de journaliste.
En 1995, elle rejoint la rubrique politique du Journal de Genève. Un an après la fusion du Journal avec le Nouveau Quotidien, qui donne naissance au Temps, elle postule à la Télévision romande, qui cherchait une journaliste politique. «C’était la troisième fois que j’essayais d’entrer à la télé!»
A peine arrivée, elle passe à l’antenne pour les émissions spéciales consacrées aux élections fédérales de l’automne 1999. Elle anime ensuite «Droit de cité», «Face aux partis», puis présente le «12:45». En janvier 2004, elle succède à Romaine Jean à la grand-messe du «19:30», en alternance avec Darius Rochebin.
Mariée depuis 1996 à un professeur de l’Institut d’études du développement (IUED) et mère de deux enfants – Isabelle, 8 ans, et Alexandre, 5 ans – Esther Mamarbachi vit à Carouge. Elle adore le vélo et la course à pied qu’elle pratique assidûment.
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Une version de cet article est parue dans le magazine Trajectoire d’octobre 2005.
