Après 40 ans passés à la TSR, l’ancien directeur des programmes renoue à la fois avec sa carrière de réalisateur et avec ses racines valaisannes. Rencontre à la veille du tournage de son nouveau film.
Rencontré à la veille du tournage de son nouveau téléfilm «Les Amants de la Dent Blanche», Raymond Vouillamoz revient avec bonne humeur sur les moments clés de sa carrière.
Comment est née votre passion pour le cinéma?
J’ai grandi dans le Valais. Comme il n’y avait pas encore la télévision à l’époque, j’allais souvent au cinéma. Le déclic m’est venu plus tard, à l’âge de 18 ans, devant «A bout de souffle» de Jean-Luc Godard. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à travailler comme critique de cinéma.

Quelle a été votre rencontre la plus marquante à cette époque?
Je devais écrire un sujet sur les dix ans de la TSR. A cette occasion, j’ai croisé le cinéaste genevois Claude Goretta dans un ascenseur. Il m’a dit que, plutôt que d’écrire chaque semaine sur Godard, je ferais mieux de faire du cinéma. Il m’a proposé dans la foulée de devenir son assistant. C’était un vrai conte de fée à une époque où, il faut le dire, tout était beaucoup plus facile que maintenant.
Quel souvenir gardez-vous de votre premier tournage?
En 1966, j’ai assisté Goretta qui devait réaliser le portrait de Johnny Hallyday durant sa tournée. Un jour, Johnny nous a demandé si nous pouvions filmer le musicien américain qui faisait tous les soirs la première partie du concert. Il s’agissait d’un jeune homme complètement fou, qui mangeait sa guitare sur scène tout en hurlant. Pour lui faire plaisir, on a filmé dix minutes de sa prestation, puis on lui a offert les images. Il s’est avéré plus tard que ce garçon était Jimi Hendrix! Jamais je n’aurais pensé qu’il allait devenir aussi célèbre.
Claude Goretta a-t-il été en quelque sorte votre mentor?
Oui, j’ai su apprécier chez lui son grand art de la mise en scène, son regard de fiction documentée. C’est-à-dire d’une fiction qui tient compte de la vie réelle. J’ai aussi été marqué par sa manière de diriger les acteurs, qui est l’une de ses plus grandes qualités.

Vous avez été successivement réalisateur, producteur puis directeur des programmes au sein de la TSR. Quel métier avez-vous préféré exercer?
Je me suis épanoui dans chacune de ces professions mais il m’est resté une petite nostalgie de la réalisation. Je ne sais pas ce que j’aurais fait si j’avais continué à réaliser. Peut-être des films comiques ou des films de cinéma? On ne le saura jamais.
Quel regard portez-vous sur le cinéma suisse d’aujourd’hui?
Les cinéastes d’aujourd’hui sont beaucoup plus individualistes que ceux du groupe des cinq fondé dans les années septante. Tanner, Goretta ou encore Soutter avaient comme origine commune la TSR qui amenait une grande partie du budget. Aujourd’hui, le cinéma suisse regroupe de plus en plus de sociétés de production, et les cinéastes travaillent chacun de leur côté. Je suis de près le travail de Jean-Stéphane Bron ou de Lionel Baier, qui ont compris que le cinéma d’auteur doit être accessible au grand public.
Comment avez-vous vécu votre départ à la retraite après 40 ans au sein de la TSR?
En douceur. J’ai quitté la télévision sur deux ans. Je me suis occupé du 50ème anniversaire de la chaîne et de l’élaboration d’un DVD, mon souhait étant de laisser un témoignage entre les pionniers de la télévision que j’ai bien connu et les jeunes d’aujourd’hui.
Vous vous sentez en forme?
Je montais tous les jours à pied dans mon bureau qui se trouvait au 16ème étage! C’est un exercice physique qui n’a l’air de rien et qui prend 5 minutes à peine, mais qui est excellent pour le souffle et les jambes. Grâce à cela j’ai gardé une forme d’enfer!
Depuis que vous êtes à la retraite, avez-vous de nouveaux hobbies?
Je faisais déjà régulièrement du tennis, de la randonnée et du ski. Maintenant, je vais davantage au cinéma. J’ai aussi découvert les joies du shopping, moi qui me croyais allergique à ça! J’ai été pris d’une frénésie nouvelle. Dès les premières semaines de ma retraite, je me suis acheté des dizaines de DVD.
Qu’est-ce que vous aimez regarder à la télévision?
Je ne suis pas du genre à avoir des rendez-vous hebdomadaires. J’aime essentiellement le direct, donc le sport et l’information. Sinon, j’ai une série culte que je vois en DVD, «Dead Wood», un western produit par HBO. Je ne sais pas si la TSR va le programmer. C’est une série très violente…
Faites-vous des films de vacances ou de famille?
Je n’ai pas de caméra. Je ne suis pas tellement intéressé par les souvenirs de vacances. Et pour les photos de famille, je préfère immortaliser des moments atypiques. Par exemple, j’ai photographié mes enfants quand ils avaient la grippe plutôt que le jour de Noël ou de leur première communion.
Vous ne ressentez pas de nostalgie en remettant les pieds dans la tour de la TSR?
La plupart des comédiens suisses de mon film sont venus essayer leur costume ici. J’en ai profité pour faire le tour des étages vidés depuis le déménagement aux Charmilles d’une partie des employés. J’ai visité tous les bureaux abandonnés me disant que j’aurai dû faire un film de ce bâtiment devenu une sorte de bateau déserté.
A la veille du tournage, vous n’êtes pas stressé de savoir que certains vous attendent au tournant?
Hormis des petites remises en question sur la manière de faire passer à l’image ce que j’ai en tête, je dors bien. Et puis, quand on a organisé la direction des programmes pendant 10 ans, on a forcément des amis et des ennemis…
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Sur fond de trame historique, puisque l’histoire se situe au début du XIXe siècle en Valais, le téléfilm de Raymond Vouillamoz, «Les Amants de la Dent Blanche», raconte l’amour impossible de deux jeunes paysans. Un amour passionnel condamné à disparaître dans un siècle austère et encore régi par les châtelains. La diffusion est prévue en 2006 sur la TSR.

Pourquoi avoir choisi un tel sujet?
La Suisse possède des paysages à faire valoir, et avec cette histoire, je mets en scène la région de mon enfance. Dans les années cinquante, le Valais avait préservé un mode de vie encore très traditionnel. Par ce film, je laisse le témoignage de ce que les générations actuelles ne connaissent plus du Valais.

Comment trouver des lieux encore intacts?
L’histoire est inspirée d’un fait divers qui s’est déroulé à Montana au milieu du XVIIIe siècle. La région a beaucoup perdu de son cachet originel avec ses constructions touristiques. Nous avons donc opté pour les hautes vallées alpines du Val d’Hérens, où il existe encore des villages traditionnels.
Les acteurs principaux sont de jeunes acteurs encore méconnus. Pourquoi ce choix?
Je n’avais pas envie de têtes connues dans les rôles principaux. Je voulais des jeunes comédiens qui soient crédibles à la montagne, qui sachent aussi monter à cheval. Je voulais aussi des jeunes qui en veulent, qui ne soient pas là que pour leur cachet.

Comment dirigez-vous les acteurs?
Le 50% du travail de metteur en scène se fait lors du choix de l’acteur, c’est-à-dire du casting. Il ne faut pas se tromper. Je ne suis pas un technicien de la direction d’acteur, plutôt un observateur du genre humain. J’essaie de m’adapter à lla mentalité de chaque acteur.
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Les photos illustrant cet article ont été prises lors des répétitions des «Amants de la Dent Blanche», de Raymond Vouillamoz.
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Une version de cet article est parue dans le magazine Trajectoire d’octobre 2005.
