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Geberit, inventeur planétaire de sanitaires

Si la plupart des usagers de toilettes publiques connaissent le nom de Geberit, très peu savent ce qui se cache derrière ces sept lettres marquées dans l’émail. C’est que la société saint-galloise cultive la discrétion. Ses installations sophistiquées évacuent, rincent et alimentent les lieux d’aisance en silence, et sont généralement dissimulées derrière les murs des toilettes et des salles de bains.

Devenu leader européen des technologies sanitaires, le groupe doit son succès à l’innovation de ses produits, et à un modèle économique qui accorde une importance centrale au plombier. «C’est lui qui décide du matériel à installer dans les locaux sanitaires, explique Albert M. Baehny, CEO du groupe depuis le début de 2005. Nous formons donc gratuitement les plombiers à l’utilisation de nos installations.»

Avec 20 centres de formation disséminés à travers le monde, l’entreprise peut enseigner le fonctionnement de ses produits et de ses logiciels à des armées de professionnels: pas moins de 25’000 plombiers y sont formés chaque année!

Ces séminaires, qui durent entre un jour et une semaine, sont également suivis par les architectes et évidemment les grossistes, à qui l’entreprise vendra ensuite ses produits. Ce dispositif de formation constitue en quelque sorte le support marketing de Geberit, qui affiche un chiffre d’affaires de 1,9 milliard de francs et une présence dans plus de 40 pays.

Epopée sanitaire

L’entreprise favorise également les coopérations stratégiques. En Suisse, elle a établi depuis le mois de janvier un partenariat avec la société genevoise de robinetterie Similor Kugler, tant sur le plan technique que marketing (les partenaires s’unissent pour des foires et éditent des brochures communes), et équipe les toilettes publiques de l’entreprise bâloise McClean (lire ici notre article à son sujet), qui accueillent près de 5 millions d’usagers par an.

L’histoire de Geberit débute en 1874 lorsque Caspar Melchior Albert Gebert ouvre son premier atelier de plomberie dans la vieille ville de Rapperswil. La société restera en mains familiales pendant plus d’un siècle. En 1952, une invention révolutionnaire lui permet d’acquérir une renommée internationale: la chasse d’eau en plastique. C’est à cette époque que la direction de Gebert décide d’ajouter à son nom le suffixe «it», très en vogue dans les années 50.

Fidèle à sa réputation de qualité et de discrétion, la société va dès lors multiplier les innovations. En 1964, elle lance son premier réservoir à eau caché, puis, en 1972, la cloison de séparation d’urinoirs pour le secteur public. Un produit qui se vend à plus de 200’000 exemplaires.

Au début des années 80, alors que les valeurs écologiques commencent à imprégner les sociétés occidentales, Geberit commercialise un réservoir permettant d’économiser l’eau et l’énergie. Cet article devient un best-seller et s’écoule à plusieurs dizaines de millions d’exemplaires. En parallèle, l’entreprise développe diverses solutions permettant de limiter au maximum les bruits et les odeurs de ses installations.

Cette croissance est menée pendant près d’un demi-siècle par Heinrich Gebert, qui, devenu septuagénaire, décide en 1997 de passer la main. Il vend l’entreprise familiale à la société d’investissement britannique Doughty Hanson & Co. pour 1,8 milliard de francs et crée dans la foulée la Fondation Gebert Rüf, dédiée à l’innovation.

Avec un budget annuel de 10 millions de francs, cette fondation, aujourd’hui complètement indépendante de Geberit, décerne des prix aux entreprises novatrices et soutient des projets spécifiques dans les universités et les Hautes Ecoles spécialisées. «C’est seulement au moment de la vente de la société que Heinrich Gebert a réalisé qu’il était riche, déclare Philippe Egger, directeur de la fondation. Après avoir été un entrepreneur durant toute sa vie, il a décidé d’utiliser son argent pour mener des actions philanthropiques.»

La vente de l’entreprise ne semble pas avoir ralenti son dynamisme. Depuis dix ans, Geberit continue à déposer une vingtaine de brevets par année et emploie plus de 150 ingénieurs dans son département Recherche & Développement (sur un total de 1000 employés en Suisse et plus de 5000 au niveau mondial). Ce département s’occupe de recherche fondamentale (acoustique, hydraulique, protection contre le feu) et de développement de produits. Il travaille en partenariat avec plus de 30 Hautes Ecoles à travers le globe, ainsi que divers instituts de recherche.

Comment une entreprise basée en Suisse, où la main-d’oeuvre est réputée chère, a-t-elle réussi à devenir le numéro 1 européen de son secteur? «Outre l’effort constant apporté à l’innovation, notre stratégie globale de non-diversification s’est révélée payante, explique Albert M. Baehny. En effet, nos articles sont fabriqués pour les plombiers. Nous ne nous sommes pas élargis au design ou à la céramique, par exemple. De même, toutes nos acquisitions sont réalisées exclusivement dans notre domaine d’activité. Enfin, notre internationalisation n’a jamais été brutale, mais lente et progressive. Cette stratégie se base sur notre culture d’entreprise humble et discrète.»

Mais l’humilité typiquement helvétique de Geberit ne l’empêche pas d’afficher des résultats rayonnants: son chiffre d’affaires s’élève à 1,5 milliard de francs pour les neuf premiers mois de l’année (en légère augmentation de 4,3% par rapport à la même période de 2004), avec un revenu net qui bondit de plus de 20%, à 218 millions de francs. «Ce qui fait notre force, ce sont nos marges, ainsi que notre cash-flow, tout à fait exceptionnels et rares dans l’économie suisse», se réjouit Albert M. Baehny.

Le groupe Geberit, dont les 90% des ventes totales sont réalisées à l’étranger, dispose de 16 sites de production à travers le globe. Il a pour philosophie de fabriquer ses produits dans les pays mêmes où ils sont vendus: deux sites aux Etats-Unis, deux en Chine et le reste en Europe, dont trois en Suisse. Cette répartition lui permet d’éviter les délocalisations. «Une proximité géographique entre les sites de production et les clients favorise la flexibilité et la logistique, explique Albert M. Baehny. Afin de limiter les coûts en Europe, nous avons automatisé la plupart de nos usines.»

Les activités de vente sont majoritairement concentrées en Europe, où le groupe est leader depuis une quinzaine d’années. Ses potentiels de croissance se situent dans l’est du continent, ainsi qu’en Amérique du Nord (où son chiffre d’affaires ne dépasse pas 119 millions de francs) et surtout en Asie (44 millions). A titre d’exemple, les points de vente de Geberit en Chine sont passés de deux en 2004 à dix cette année.

Les produits de Geberit trouvent aujourd’hui des applications qui dépassent largement le seuil des salles de bains dans le domaine agricole, par exemple, l’entreprise propose des systèmes souterrains en plastique servant au drainage ou à la distribution d’eau. Du côté domestique, la société propose divers systèmes assurant le drainage des toits de grande surface, le chauffage pour les bâtiments résidentiels, la protection contre le feu et la distribution de gaz. «Geberit ne vend pas des produits, mais un système entier permettant de gérer le flux d’eau dans un immeuble», résume Albert M. Baehny.