Autrefois très formelle, l’ambiance dans les hôtels de luxe se décoince et les règles de l’étiquette deviennent moins strictes.
«La distance froide entre les employés et la clientèle ne correspond plus aux attentes. Aujourd’hui, les barrières sociales sont plus floues et les règles de l’étiquette moins strictes. Les clients recherchent plus d’authenticité et d’interaction.» Pour José Silva, 42 ans, nouveau directeur de l’Hôtel des Bergues, les palaces ont changé d’époque: fini les chichis, courbettes et autres attitudes codifiées. Le personnel doit désormais adopter une attitude chaleureuse et amicale.
Racheté au printemps par le prince saoudien Al Walid pour 125 millions de francs, le plus ancien palace de Suisse vient de rouvrir cet automne, géré par le groupe Four Seasons (autre dépendance du prince). Le succès de cette chaîne canadienne tient pour beaucoup à l’approche décrite par le directeur des Bergues: l’attitude chaleureuse et amicale du personnel.
Afin d’éviter d’incommoder les clients, qui portent des tenues de plus en plus décontractées, le look des employés a été adapté. «Au bar, les serveuses portent des pantalons et un chemisier – poursuit José Silva – mais au salon les tenues sont plus strictes. Nous pouvons être fashion, mais surtout pas casual.»
Au Palace de Lausanne, on observe la même tendance. «Nous ne faisons que suivre la volonté de la clientèle, qui souhaite un retour à des ambiances simples et détendues», explique le directeur général Jean-Jacques Gauer.
Les hôtels design, qui ont été parmi les premiers en Europe à proposer un service minimaliste en adéquation avec les souhaits de leur clientèle fortunée et branchée, connaissent un important succès.
Mais jusqu’où les palaces peuvent-ils aller dans le relâchement? «L’important est de ne jamais tomber dans la familiarité, insiste José Silva. Le service doit rester irréprochable. A trop vouloir être moderne, on court le risque d’oublier certaines règles de base.»
Les clients des palaces, qui peuvent débourser jusqu’à plusieurs milliers de francs par nuit, restent très exigeants. «Nous devons être en mesure de leur préparer un repas ou de leur repasser une chemise au milieu de la nuit, explique José Silva. Ils veulent recevoir les mêmes services que ceux qu’ils reçoivent de leurs employés dans leur ville d’origine. L’hôtel doit être une extension de leur univers familier.»
La décontraction dans les palaces varie selon les régions. «Le personnel est plus détendu aux Etats-Unis et au Canada, indique Ray F. Iunius, directeur de l’Ecole hôtelière de Lausanne. En Europe et en Asie, les habitudes restent plus conservatrices et formelles.»
Alors que l’on cherche à se détendre en ville, dans les montagnes suisses, où les grandes fortunes du monde entier viennent skier depuis des générations, on s’efforce paradoxalement de maintenir les traditions de l’élégance codifiée. Même s’il n’est pas facile de lutter contre le courant: «On sent un certain relâchement au niveau de l’habillement dans la génération des 30-40 ans, regrette Andrea Scherz, directeur général du Palace de Gstaad. Cette évolution m’attriste un peu, car certains endroits méritent d’être honorés.»
Au Grill, le restaurant très select de l’hôtel, un tabou est tombé il y a deux ans: si le port du veston est toujours de mise, il n’est par contre plus obligatoire de porter de cravate.
Cette concession à la «casual mood» ambiante a fait grimper la fréquentation de 23%. «J’espère ne pas être contraint d’accepter à l’avenir des clients en training!», conclut Andrea Scherz.
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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 5 janvier 2006.
