TECHNOPHILE

L’avenir du téléphone mobile, c’est l’image en direct

Le système UMTS, qui arrivera en 2002 en Europe, annonce une révolution de la téléphonie comparable à celle qu’a représenté internet pour les ordinateurs de bureau.

Hiroshi est de passage à Genève. «Regarde, chérie, je suis devant le jet d’eau», dit-il en orientant son téléphone mobile vers la rade. Au même moment, à Tokyo, son épouse découvre le visage d’Hiroshi sur fond de jet d’eau genevois. La carte postale personnalisée et animée, transmise instantanément par voie téléphonique, c’est pour très bientôt.

L’arrivée de la transmission de données à haut débit dans les téléphones mobiles annonce une révolution aussi importante que celle qu’a représenté le développement d’internet pour les ordinateurs de bureau. «Dans trois ans, grâce aux téléphones portables, il y aura davantage d’utilisateurs du Net en Europe qu’aux Etats-Unis», prédisait la semaine passée Larry Ellison, patron d’Oracle, lors d’une conférence à Paris. Oracle, numéro un mondial des bases de données, met actuellement au point avec le fabricant finlandais Nokia une plate-forme de services interactifs destinés à la téléphonie mobile.

En Europe, environ une personne sur trois possède un téléphone mobile (en Finlande, plus d’une sur deux, en Suisse 30%, en France 25%). On s’attend à une pénétration moyenne de 50% à 60% dans trois ans, ce qui dépasse de loin l’évolution de l’implantation des PC dans les foyers. Le portable offre plusieurs atouts par rapport à l’ordinateur: la vraie mobilité, bien sûr, la facilité d’emploi, surtout, mais aussi l’individualité – chaque usager possède son propre numéro, qui sert donc automatiquement d’adresse électronique. «Le potentiel de développement est énorme aussi parce que la familiarisation avec le mobile s’est fait beaucoup plus rapidement que pour l’ordinateur, explique Jacques Bettex, porte-parole de Swisscom. Ce que nous essayons d’identifier aujourd’hui, ce sont les applications qui vont tirer le marché vers l’avant, créer le besoin pour des transmissions à haut débit sur les mobiles.»

L’institut anglais Ovum vient de publier un rapport sur ce changement de paradygme. «La transmission numérique des données sur les téléphones portables sera comparable à l’arrivée des réseaux informatiques dans les entreprises dans les années 1980, dit ce rapport. Depuis 1997, aucune entreprise nouvellement implantée ne peut raisonnablement se passer d’un réseau permettant d’accéder à internet, d’envoyer du courrier électronique ou de commercer en ligne. En 2005, ce sera pareil pour le mobile: une entreprise devra offrir à ses employés en déplacement les mêmes services qu’au sein de ses locaux.»

Actuellement, la transmission de données sur les téléphones mobiles en est à ses balbutiements: le réseau GSM, utilisé en Europe, a été conçu avant tout pour la voix et offre un débit maximal de 9,6 kbps, soit six fois moins qu’un modem de bureau. Cette situation changera en quelques mois.

On voit apparaître depuis cet été des «Webphones», comme le Nokia 7110. Vendu un peu plus de 1000 francs suisses (4000 francs français), ce téléphone permet, au moyen de menus déroulants, de consulter des sites internet formatés spécialement pour son petit écran. «C’est une première étape, qui donne aux utilisateurs la possibilité de consulter des données et d’envoyer des e-mails plus facilement qu’avec un ordinateur», explique Marianne Holmlund de Nokia. Les opérateurs devront cependant adapter leur infrastructure pour que fonctionnent ces appareils, qui utilisent un protocole de communication spécial baptisé WAP (Wireless Application Protocol). Lors de l’expo Telecom qui aura lieu à Genève en octobre, plusieurs opérateurs feront des démonstrations de la technologie WAP, dont Swisscom qui offrira une plate-forme compatible avec ce système à ses abonnés avant la fin de l’année.

Après WAP, la deuxième étape consistera à adapter le réseau GSM afin de permettre une transmission plus rapides des données. Deux technologies, baptisées HSCSD et GPRS (voir le lexique ci-dessous), offriront des accélérations successives au réseau GSM. Ces services resteront cependant très coûteux puisqu’ils utilisent plusieurs lignes simultanément.

Le grand bond en avant est annoncé pour 2002, avec l’arrivée de la troisième génération de technologie de téléphonie mobile: le système UMTS. Ce nouveau réseau sera compatible dans le monde entier: on pourra donc utiliser le même appareil à Moscou, Tokyo, Buenos Aires ou Genève. L’UMTS permet une vitesse de transmission de 2 Mbits par seconde, soit plus de 35 fois la largeur de bande d’un modem d’ordinateur de bureau aujourd’hui, et plus de 200 fois celle d’un téléphone mobile actuel.

En Europe, les licences d’exploitation pour l’UMTS seront octroyées par les autorités de régulation jusqu’en 2001. Les opérateurs, réunis au sein de l’organisme UMTS-Forum, se sont entendus pour commercialiser les premiers services simultanément, au début de 2002. En Suisse, une mise aux enchères sera organisée par la Commission fédérale de la communication et quatre licences nationales seront délivrées l’an prochain déjà, afin que les opérateurs aient le temps de déployer leur infrastructure. L’UMTS nécessitera des investissements importants car la technologie ne peut s’adapter que partiellement à celle du GSM. Pour garantir la même couverture du territoire, un réseau UMTS nécessite un nombre plus important d’antennes.

Les analystes identifient plusieurs champs d’application pour cette nouvelle technologie (dans le sabir technophile, on parle de «driving applications» ou mieux, de «killer application» s’il s’agit d’un produit décisif). En premier lieu, le commerce électronique. Les systèmes d’encryption de haute sécurité nécessitent des algorithmes de codage puissants qui génèrent des quantités de données importantes et profiteront donc avantageusement de la nouvelle largeur de bande. On pourra ainsi non seulement consulter son compte en banque ou faire ses paiements sur le petit écran du téléphone, mais aussi acheter des produits par correspondance, payer un parcomètre depuis sa voiture, réserver et payer un hôtel ou un billet d’avion.

L’identification permettra des services personnalisés: l’usager mobile se fera aviser sur demande du retard de l’avion, du train ou même de l’autobus qu’il veut prendre, par un message électronique. «Si vous êtes investisseur et vous suivez l’action d’une entreprise, vous voulez être averti à toute heure de l’évolution du titre, disait Larry Ellison à Paris. Le futur téléphone mobile vous permettra de prendre immédiatement la bonne décision, sans passer par un coursier, où que vous soyez.»

Mais la «killer application» sera presque à coup sûr la transmission des images. L’opérateur britannique Orange montrait récemment dans ses laboratoires de Bristol les premiers prototypes de téléphone portable munis d’une minuscule caméra vidéo. L’UMTS, ce seront des images en temps réel de haute qualité dans la paume d’une main. Comme cela a été le cas pour la plupart des technologies du siècle (cassette vidéo, CD-ROM, internet), l’industrie pornographique s’emparera certainement de ce service: peep-show à la demande, caméras baladeuses, etc. Mais de manière plus large, partager la vue en plus du son changera complètement les rapports entre les individus: les contacts d’affaire, les interviews, les négociations, pourront se mener n’importe où, en visioconférence miniature.

Si le vidéotéléphone n’a jamais décollé jusqu’à présent, ce n’est pas seulement parce qu’il est trop coûteux à installer et à utiliser sur les lignes fixes. Son modèle – une caméra fixée sur un socle qui renvoie toujours la même image, banale, de l’interlocuteur – n’a pas grand intérêt. Par contre, avec un dispositif optique fixé sur un téléphone mobile, l’usager peut se montrer au coeur de l’événement, faire partager une émotion, un spectacle, un match de foot, une nouvelle robe, un sourire, un dîner de famille, la maquette d’un projet ou les premiers pas de bébé.

Malgré ses origines, l’appareil UMTS ne sera plus seulement un téléphone, mais aussi une télévision: il permettra de visionner des films – aussi à la demande – ou de suivre le téléjournal dans le train ou en attendant le bus. Comme pour les lignes fixes louées, la facturation ne se fera plus en fonction du temps de connexion mais de la quantité de données transmises. La voix – quantité de données négligeable en comparaison des images – deviendra ainsi quasi-gratuite.

A coup de fusions et de rachats, les grands consortiums de communication anticipent cette évolution: Vivendi regroupe aujourd’hui Canal+ (télévision), Cégétel (réseaux fixes), SFR (téléphonie mobile), et une partie d’AOL France (accès internet). Aux Etats-Unis, des alliances ou des rapprochements entre ces secteurs sont annoncées presque chaque jour. Pas étonnant que les fabricants de téléphones mobiles soient devenus les acteurs les plus convoités du monde économique.

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Lexique:

HSCSD (High Speed Circuit Switched Data)
Technologie qui consiste à utiliser plusieurs canaux de transmissions mobiles GSM pour transmettre plus de données à la fois. Un canal GSM a une capacité de 9,6 Kbps. En utilisant HSCSD et en cumulant les canaux, on peut aller jusqu’à 28,8 Kbps, voire jusqu’à 76,8 Kbps disent les experts. HSCSD sera proposé par les opérateurs européens fin 1999-début 2000. On en profitera en utilisant un ordinateur portable ou un agenda électronique branché sur un téléphone mobile.

GPRS (General Packet Radio Service)
Optimisation de la transmission de données sur le réseau mobile GSM actuel. GPRS autorise une connexion informatique permanente entre le téléphone et le réseau internet à une vitesse maximale de 115 Kbps. Le système utilise la transmission par paquets, donc l’usager paie en fonction des données transmises, et non du temps de communication. GPRS sera proposé dans le courant 2000 par les opérateurs européens. L’abonné GPRS est informé automatiquement de la réception d’un mail ou d’un document informatique. Le système GPRS s’utilisera au moyen d’un ordinateur portable ou un agenda électronique branché sur un téléphone mobile.

UMTS (Universal Mobile Telecommunications System)
Système de transmission numérique pour les téléphones mobiles dit de la troisième génération, qui succèdera au protocole numérique actuel, le GSM. UMTS permet la transmission de données informatiques à une vitesse de 2 Mbits par seconde, soit plus de 200 fois le débit d’un téléphone mobile GSM. Les licences d’exploitations seront octroyées en Europe d’ici à 2001 et les premiers réseaux déployés en 2002. UMTS s’appelle aussi CDMA (Code Division Multiple Access) ou CDMA 2000 aux Etats-Unis.

WAP (Wireless Application Protocol)
Protocole adapté du HTML utilisé sur internet permettant de transmettre des pages Web simplifiées sur un téléphone mobile adapté. Avec WAP, l’usager peut consulter des mini-pages (CNN proposera prochainement une version WAP de son site contenant un résumé de l’actualité financière) et intéragir au moyen d’un minuscule écran à choix multiples. Les premières applications WAP existent depuis l’été 1999. Elles seront déployées à plus grande échelle dans le courant 2000 par les opérateurs et les fournisseurs de contenus, surtout en Europe.