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Comment nous sommes tous devenus globalisés

Dans «The World Is Flat», son dernier best-seller, Thomas Friedman explique comment les individus sont devenus aussi mondialisés que les entreprises. Un essai passionnant et instructif.

Cela se passe près de chez vous, du côté de Nyon. L’entreprise TKS-Teknosoft vend à de grandes entreprises des solutions informatiques développées sur mesure en Inde.

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce n’est pas en jouant sur les prix qu’elle devance ses concurrents, mais en tablant sur la supériorité technique de ses solutions. Une approche innovante? Pas tout à fait: cela fait plus de vingt ans que TKS-Teknosoft procède ainsi. Elle a créé une centaine d’emplois en Suisse et en France.

Cet exemple aurait pu figurer dans «The World Is Flat», le best-seller de Thomas Friedman, qui en aligne des dizaines du même type. L’auteur veut démontrer à quel point le monde est devenu plat (au sens de nivelé, horizontal) depuis que la technologie nous permet de commercer en direct et sans entraves avec des partenaires éparpillés sur l’ensemble du globe.

Avec un optimisme très américain, le journaliste-vedette du New York Times veut démontrer que cet aplatissement (on pourrait aussi dire rétrécissement) de la planète constitue un formidable espoir de croissance et de pacification pour l’humanité.

La mondialisation, écrit-il, a connu trois phases. La première a commencé en 1492 avec la découverte du Nouveau-Monde et s’est poursuivie jusque vers 1800: c’était la globalisation des Etats, chaque nation était contrainte de se positionner par rapport aux autres.

La seconde phase, alimentée par l’industrialisation et l’expansion commerciale, a duré selon lui jusque vers l’an 2000; c’était au tour des entreprises de trouver leur place et de se confronter à une concurrence devenue mondiale. Et aujourd’hui? Friedman démontre, exemples à l’appui, que l’évolution technologique nous a fait entrer dans une ère totalement nouvelle, celle de la globalisation des individus.

Sur près de 500 pages, le journaliste trois fois lauréat du prix Pulitzer raconte comment ses récents voyages en Asie, au Proche-Orient et en Amérique (l’Europe est curieusement absente de son terrain de jeux) l’ont convaincu que la compétition globale ne se limite plus aux Etats et aux entreprises: vous et moi pouvons également entrer en concurrence — mais aussi, et surtout, collaborer et créer de la valeur — avec nos semblables de l’autre bout du monde.

C’est même notre seule chance, selon Friedman, de conserver nos emplois sur cette planète devenue aussi plate qu’un jeu de Monopoly.

Pour illustrer sa thèse, il raconte ses visites dans des call-centers de Bangalore où les jeunes Indiens apprennent l’accent du Midwest pour mieux servir leurs clients.

Il note le développement des biotechnologies à Cuba, et le brusque assouplissement du boycott américain quand les chercheurs de La Havane ont trouvé des traitements expérimentaux contre le cancer.

Il décrit les succès d’Aramex, seule compagnie arabe cotée au Nasdaq, et l’importance de son «role model» pour le monde musulman. Et ainsi de suite: chaque voyage renforce sa conviction que les individus ont tout à gagner à ce nouveau grand jeu que constitue le nivellement du marché planétaire.

L’enthousiasme de Friedman laisse parfois songeur, notamment quand il décrit le centre de distribution automatisé de Wal-Mart à Bentonville, où les employés sont encouragés à accélérer la cadence par une voix électronique qui, miracle de la technologie, «peut être masculine ou féminine, anglophone ou hispanophone», selon les souhaits de l’ouvrier…

Sa vision euphorique du libéralisme a de quoi hérisser les altermondialistes (qui ne se gênent pas pour attaquer ses thèses en le traitant de flatman), mais là n’est pas la question: Thomas Friedman est un narrateur de première classe, qui sait captiver ses lecteurs en leur expliquant des processus économiques complexes, et sans jamais perdre de vue le facteur humain.

Qu’il ait été élu «livre de l’année» par plusieurs publications n’a rien d’étonnant. Rédigé à la première personne, à la manière d’un carnet de route, «The World Is Flat» se lit comme le guide pratique et bien informé de l’entrepreneur du XXIe siècle.