LATITUDES

L’insomnie et la voix de Scarlett Johansson

Les troubles du sommeil touchent près de 60% de la population. Alors que les ventes de somnifères ont doublé en dix ans, des vedettes hollywoodiennes prêtent leur voix à la lutte contre l’insomnie en susurrant des berceuses.

Utiliser la musique comme un somnifère. L’idée n’est pas nouvelle. En 1741, Bach composait d’ailleurs ses célèbres «Variations Goldberg» — interprétées par le claveciniste Johann Gottlieb Goldberg — pour aider l’ambassadeur Kayserling à trouver le sommeil.

L’album «Unexpected Dreams: Songs From the Stars», qui sortira le 28 mars prochain, vise le même objectif. Il se veut une note de douceur à s’accorder pour rejoindre rapidement les bras de Morphée. Le «Summertime» de Gershwin interprété par Scarlett Johansson, le «Sweetest Gift» de Sade par Ewan McGregor et les douze autres mélodies chantées par des célébrités accompagnées par l’Orchestre philarmonique de Los Angeles feront-elles chuter les ventes de somnifères?

Les quatorze stars ont accepté de participer à cette veillée «soit parce qu’elles souffrent personnellement d’insomnie, soit parce qu’une personne en souffre dans leur entourage et qu’elles connaissent de ce fait les misères que cela entraîne», précise-t-on chez Rhino Records qui commercialise le CD.

On ignore si cette nouvelle concurrence hollywoodienne trouble le sommeil des responsables Sanofi-Aventis. Ce qui les préoccupe en ce moment, c’est surtout l’expiration prochaine du brevet du «Stilnox », le somnifère le plus vendu au monde.

Jamais la compétition n’a été aussi féroce dans le marché des sédatifs. Et pour cause: durant la dernière décennie, les ventes ont doublé dans ce secteur, et la progression devrait se poursuivre.

Les troubles du sommeil représentent un vrai problème de société. Près de 60% des gens se plaignent d’insomnie ponctuelles. L’insomnie modérée (un mauvais sommeil deux ou trois nuits par semaine) concerne quant à elle 10 à 20% de la population. Le manque de repos qui en résulte est à l’origine d’accidents de travail ou de drames sur les routes.

Aux Etats-Unis, on paie 1 milliard pour s’endormir et on estime à 30 milliards par an les coûts collatéraux de l’insomnie.

«La prison, ce doit être bien cela, une insomnie qui dure», disait Aragon dans «Les beaux quartiers». Dans ce sens, nos sociétés comptent de plus en plus de prisonniers. Le phénomène, attribué à notre mode de vie (stress au travail, abus de caféine et distractions nocturnes devant les écrans), semble relativement récent.

A la fin du XIXe siècle, l’existence de l’insomnie n’était d’ailleurs pas mentionnée dans le célèbre «Traité d’hygiène», du docteur Apollinaire Bouchardat. Tout au plus évoquait-il le sommeil en ces termes:

«Le repos du corps peut être obtenu de bien des façons: la plus heureuse est sans contredit la diversité du travail, diversité qui est nécessaire à tout point de vue, et d’abord pour ne laisser se détériorer dans l’inaction aucune des merveilleuses forces de l’organisme humain.»

«Rien n’est meilleur pour l’ouvrier, quand il a supporté une journée de travail, que de mettre, le soir et le dimanche, en activité les forces de son intelligence. Le travail de l’esprit est le meilleur et le plus salutaire repos du corps, et réciproquement. Le sommeil est le réparateur par excellence de la fatigue, quand il est calme, profond, et que sa durée est convenable (7 à 8 heures).»