KAPITAL

Igloos, médicaments, localisation et biométrie en Suisse

Ils ont été récompensés pour leur esprit d’innovation. Portraits de jeunes entrepreneurs suisses qui ne se contentent pas d’imaginer le monde de demain: ils le construisent.

Chaque année, le projet SwiTi (Swiss Talents For Innovation) dessine une image assez fidèle de la Suisse futuriste. On y rencontre, dans un livre et lors d’un gala, les jeunes entrepreneurs qui ont été récompensés l’année précédente pour leur innovation, leur responsabilité environnementale ou encore leur succès commercial.

Largeur.com s’est associé à cette initiative de Geneviève Morand en rédigeant les portraits des différents lauréats. Il y en a 116 dans cette édition 2006, et ils figurent tous dans le livre publié en anglais aux éditions Rezonance.

Portraits choisis.

*

Whitepod les igloos futuristes

Sur la crête, une demi-douzaine d’igloos entourent un traditionnel chalet alpin. De la fumée s’échappe des petites sphères blanches, qui disparaissent à demi dans le paysage enneigé. Le calme est absolu. Seul point mouvant dans ce tableau immaculé: trois randonneurs en raquettes qui regagnent le camp Whitepod.

Destinés à héberger une douzaine de personnes à la fois, ces globes habitables, appelés «pods», sont chauffés au bois et éclairés à la lueur d’une lampe à pétrole. «Il s’agissait de concilier les exigences de confort des clients avec un impact minimal sur l’environnement», explique Sofia de Meyer, créatrice du concept.

Cette Suissesse émigrée à Londres, où elle travaille comme avocate à la City, décide un jour qu’elle en a assez des longues heures de travail et qu’elle veut revenir dans son pays natal pour y lancer «un concept novateur», proche de la nature. Elle pense alors au camp Whitepod.

«Je voulais créer un sanctuaire de calme pour les gens qui vivent la City de Londres comme moi je l’ai vécue.» Pièce maîtresse du concept: le «pod». Cet igloo construit et meublé à partir de matières recyclables est perché sur une plateforme en bois, de sorte qu’il puisse être démonté, l’été venu, sans laisser de traces. Il n’est alimenté ni en électricité ni en eau, les salles de bains se trouvant dans le chalet principal, qui date de 1820.

Les hôtes y prennent également leurs repas, préparés par un chef local qui leur fait goûter des spécialités du terroir. «C’est la première fois qu’un projet suisse applique les normes de l’Organisation mondiale du tourisme en matière d’écotourisme», dit Sofia de Meyer. Cela lui a valu de recevoir le Prix de l’innovation 2005 pour un tourisme responsable.

Le camp Whitepod a aussi un caractère éducatif: les visiteurs sont informés des mesures à prendre pour limiter la consommation d’eau et on leur propose des activités à même d’éveiller leur intérêt pour le paysage alpin (balades en raquettes, parapente, randonnées à ski). «Confronté à la beauté de la nature, le client comprend pourquoi il faut la protéger», souligne la propriétaire des lieux.

Le succès ne s’est pas fait attendre: lancé en novembre 2004, le camp atteint aujourd’hui un taux d’occupation de près de 85% pour un chiffre d’affaires de quelque 200 000 francs. Mais Sofia de Meyer a dû auparavant affronter la jungle des règlements sur l’aménagement du territoire. «Nos pods étaient considérés comme des maisons en dur et on nous demandait un permis de construire, alors qu’il s’agit d’un camp temporaire.»

Pourtant, la Suisse ne représente pas qu’une source d’ennuis administratifs pour cette native de Villars-sur-Ollon. «Nous bénéficions de l’image de propreté, qualité et pureté dont jouit le pays à l’étranger.» Une réputation qui se révélera utile pour exporter le camp Whitepod, dès l’année prochaine, sous forme de franchise. «Nous sommes en discussion avec la Nouvelle-Zélande, des pays d’Amérique latine et 6 pays européens qui sont intéressés par le concept», indique Sofia de Meyer.

*

Mondobiotech, les médicaments recyclés

Quand on parle recyclage, on pense rarement médicaments. C’est pourtant le pari tenté par Mondobiotech: trouver des applications nouvelles pour les médicaments existants. La société bâloise s’intéresse aux maladies «négligées», si rares qu’elles ne touchent pas plus de cinq personnes sur 10000 en Europe.

Elle cible les affections pulmonaires fatales, «car elles sont en général localisées et donc faciles à atteindre par inhalation d’un médicament, ouvrant un large champ de possibilités pour une firme de notre taille», explique Vera Cavalli, qui dirige l’entreprise avec son mari Fabio depuis 2001.

La société bâloise se concentre sur les médicaments dont l’efficacité a été prouvée pour plus d’une maladie. «Il faut savoir que de nombreuses affections ont des symptômes qui se recoupent», précise Vera Cavalli.

Mondobiotech a trouvé trois nouvelles applications pour l’Aviptadil, un médicament utilisé contre l’impuissance. Il permet de soigner l’hypertension artérielle pulmonaire (PAH). Trois autres substances entrent dans la phase finale des tests cliniques. Pour ce succès, la firme a reçu le Prix 2005 des sciences de la vie, Fondation Novartis, BioMedinvest, Varuma et VI.

La société prépare son entrée en Bourse et envisage d’élargir son équipe de onze personnes. Sa stratégie sera de conclure des partenariats avec de grands groupes pharmaceutiques. Deux produits font déjà l’objet d’une licence, octroyée à la société américaine InterMune Inc.

Mondobiotech a aussi pris une licence sur un médicament produit par le français AstraZeneca, l’Amphocil (utilisé contre les infections fongiques), afin de le distribuer sur le marché suisse. Une alliance a été conclue avec le groupe Bachem, sis à Bubendorf, pour la production de certains peptides. En raison de ses liens avec l’industrie pharmaceutique, Mondobiotech se doit d’être localisé en Suisse, et tout particulièrement à Bâle, siège de grands groupes tels que Novartis ou Ciba Geigy.

*

Map.search, la localisation en ligne

Basé sur des photographies aériennes, le site map.search.ch propose un plan détaillé de toutes les villes suisses. En plus des rues, il indique la position exacte des musées, des écoles, des restaurants, des bars, des pharmacies et des magasins. La carte va jusqu’à afficher les horaires complets des bus à chaque arrêt, le nombre de places libres en temps réel dans les parkings et même la température de l’eau dans les piscines…

L’utilisateur peut zoomer au plus proche des quartiers et distinguer sa propre maison. L’interactivité et la rapidité du site ont été améliorées dans une nouvelle version, mise en place en 2004. Cette innovation technique a été récompensée par le titre de Master of Swiss Web 2005, sorte d’oscar suisse de la branche de l’e-business, de l’internet et du mobile.

Map.search.ch est l’un des services de search.ch, un moteur de recherche présent dans le web suisse depuis 1995. Selon le rapport de la REMP en 2005, il compte 1,8 million de visiteurs par mois, pour près de 48 millions de pages vues. Cette forte audience permet au site de voir ses revenus publicitaires progresser de manière significative.

Basée dans le canton de Schwyz, la société emploie aujourd’hui trente personnes et est devenue depuis 2004 une filiale de La Poste suisse. Search.ch est actuellement une des principales plateformes internet suisses. Elle comprend notamment le célèbre site tel.search.ch, qui est l’un des annuaires téléphoniques en ligne les plus utilisés du pays.

La société, fortement implantée en Suisse, souhaite renforcer cet ancrage. «Nous nous concentrons sur le contenu du web suisse et sur le marché intérieur de la Suisse, explique Robert Furger. C’est là que nous projetons de nous développer. Cela dit, ce service peut être adapté n’importe où dans le monde, à condition de s’ajuster aux besoins de chaque pays.»

*

AXSionics, la biométrie citoyenne

La plupart des gens utilisent chaque jour pas moins d’une dizaine de petits rectangles de plastique pour s’identifier: cartes bancaires, papiers d’identité, cartes de fidélité, abonnement au vidéoclub. C’est pour endiguer ce flot que la société biennoise AXSionics a conçu une carte d’identification universelle.

L’outil, de la taille d’une grosse carte de crédit, contient aussi les données biométriques (empreintes digitales) de son détenteur, preuve irréfutable de son identité. «Il peut alors accéder à son lieu de travail, effectuer ses opérations bancaires et ses achats en ligne ou encore payer ses courses au magasin au moyen de cette unique carte», explique Alain Rollier, CEO de la firme créée en 2003.

Astuce: les données biométriques sont «encapsulées» dans la petite plaquette, que l’utilisateur garde toujours sur soi. Il évite ainsi de laisser des traces de son passage, contrairement à d’autres applications biométriques où les informations sont conservées dans une banque de données centralisée.

Cette question sensible agite actuellement la Grande-Bretagne, qui débat de l’introduction d’une carte d’identité nationale afin de lutter contre le terrorisme et l’immigration clandestine. Grâce à son invention, AXSionics pourrait contribuer à résoudre cette controverse. «Nous sommes en discussion avec le gouvernement britannique pour leur vendre notre trouvaille», dit Alain Rollier. La firme examine aussi la possibilité d’utiliser son application pour permettre aux Suisses de voter ou de payer leurs impôts par l’internet.

Mais priorité aux applications commerciales. Alain Rollier envisage de lancer la production de masse de ses cartes biométriques à partir de 2007. Il a reçu en 2005 le label de certification CTI, qui atteste de la viabilité commerciale de son produit.

AXSionics vise en priorité le marché européen. «Les seules autres firmes qui proposent une technologie similaire sont israéliennes ou américaines. Avec notre statut d’entreprise suisse, un pays réputé pour sa neutralité, nous inspirons confiance, notamment quant aux garanties de confidentialité.»

——-
Portraits réalisés par William Türler et Julie Zaugg. Une version de cet article a été publiée dans L’Hebdo du 2 mars 2006.