Née de la célèbre clinique vaudoise, la marque de cosmétiques s’exporte désormais mondialement. Histoire d’un succès économique lié à un positionnement très haut de gamme. Avec caviar.
Le Carlton de New York, les thermes de Monte Carlo, un manoir dans la campagne anglaise, un salon de beauté perché au dernier étage d’une tour à Singapour. Le point commun de ces endroits luxueux? Ils proposent les produits La Prairie. La marque sait préserver son image d’exclusivité, soigneusement entretenue par ses concepteurs.
Créée en 1978, La Prairie est issue de la clinique du même nom, située à Clarens, au milieu d’un vert pâturage de la campagne vaudoise. Revendue au groupe allemand Beyersdorf, la marque est aujourd’hui dissociée de la clinique, et distribuée dans le monde entier, avec un souci d’élégante discrétion.
«Les cosmétiques La Prairie sont vendues dans les magasins spécialisés et les chaînes comme Marionnaud ou Sephora, mais de façon restreinte: nous choisissons seulement les points de vente qui bénéficient d’une grande compétence en parfumerie», explique Winter Goetz, porte-parole de la marque. Ainsi, en Suisse, les produits La Prairie ne sont vendus que dans une poignée de filiales Marionnaud. Car «ce type de marques haut de gamme ne veut pas voir ses produits exposés à côté des parfums soldés», explique Karin Müller, chez Marionnaud.
Autre point de distribution: les spas des hôtels de luxe. Là aussi, on reste sélectif: «Nous choisissons un petit nombre d’hôtels cinq étoiles par pays», indique Winter Goetz. Il s’agit également d’offrir le même service partout dans le monde. Les spas qui proposent les produits La Prairie promettent ainsi «confort, luxe et soins personnalisés dans un décor aux couleurs argent, blanc et bleu cobalt exclusif à la Prairie».
Jacqueline Kinder, directrice du spa de l’hôtel La Reserve, à Bellevue (GE), confirme. «Les produits La Prairie sont connus de mes clients, ça les rassure. Ils savent que le masque qu’ils recevront chez nous est exactement le même qu’ils ont reçu au Ritz à Paris.»
La distribution exclusive et confidentielle des produits La Prairie ne freine pas la croissance de la marque, au contraire. En 2005, les ventes du groupe Juvena/La Prairie ont atteint 287 millions de francs, en progression de 11% par rapport à l’année précédente.
Quels sont donc les ingrédients de cette success story? Premièrement, des innovations originales qui n’hésitent pas à jouer l’impertinence. Ainsi, le lancement en 1987 de la gamme «caviar» — des produits aux extraits d’œufs d’esturgeons –- reste l’une des grandes réussites de la marque.
Deuxièmement, en mettant l’accent sur les produits anti-âge avec son fameux «complexe cellulaire» qui efface les effets du temps, la marque touche une catégorie de la population à plus haut pouvoir d’achat, disposée à dépenser plusieurs centaines de francs pour un soin de beauté.
Troisièmement, La Prairie joue habilement sur le concept du Swiss made. Au lieu de l’imagerie «plantes médicinales» ou bio des autres marques suisses (Weleda, Valmont), La Prairie s’appuie plutôt sur la réputation scientifique (notamment en matière de biotechnologie) de son pays d’origine, avec des produits «à la pointe de la recherche», comme dit Winter Goetz.
Dernier atout, La Prairie est perçu comme «un soin pour la vie», loin des phénomènes de mode et des engouements éphémères, comme dit Jacqueline Kinder de la Réserve. Et de conclure: «Nous utilisons les produits La Prairie depuis plus de deux ans et nous les utiliseront encore dans cinq ans.»
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De Charlie Chaplin au pape Pie XII
Nichée sur les hauts de Montreux, la clinique La Prairie propose depuis 1931 des traitements destinés à repousser les limites du temps. Les patients qui franchissent les grilles de la clinique en quête d’une cure de jouvence se voient proposer des injections à base de cellules de fœtus du mouton, destinées à renforcer les défenses immunitaires et régénérer la mémoire.
Ce traitement a été suivi par de nombreux hôtes illustres, dont le pape Pie XII, Marlène Dietrich ou encore Charlie Chaplin. Mais depuis, la clinique a élargi la palette de son offre. Elle propose désormais un centre chirurgical (esthétique et orthopédique, notamment ), des soins dentaires, un spa de luxe et un restaurant diététiques. Une telle escapade santé coûte de 17’600 à 25’580 francs pour un séjour de six nuits.
L’établissement s’adresse à une clientèle internationale âgée de 55 ans en moyenne, selon son porte-parole Yaël Bruigom: «Ce sont des personnes qui n’ont pas beaucoup de temps et qui apprécient de trouver toutes les spécialisations médicales et les soins de beauté réunis sous un même toit.»
Entièrement distincte de la marque La Prairie depuis 1982, la clinique utilisait encore ses produits jusqu’en 2005. Ils ont désormais été remplacés par ceux de la marque maison, appelée Swiss Perfection. Yaël Bruigom reconnaît toutefois que l’image «haut de gamme» des cosmétiques La Prairie attire une part substantielle des clients de la maison de santé.
Mais la clinique joue surtout sur son image d’oasis végétal sis sur les bords du Léman, jouissant d’un «microclimat méditerranéen». L’imagerie «belle époque» du sanatorium où l’on guérit grâce à une exposition prolongée au bon air frais des alpes suisses n’est pas non plus étrangère à son succès.
Comme le rappelle Vincent Barras, professeur d’histoire de la médecine à l’Université de Lausanne, la Suisse a acquis dès la fin du 19e siècle une réputation internationale pour ses traitements contre les maladies pulmonaires prodigués en montagne. Ces établissements de soins vivent aujourd’hui un deuxième âge d’or grâce à la mode du wellness.
«Les cliniques de Montana, Davos ou Clarens (La Prairie) se sont reconverties avec succès dans la ’médecine soft‘», explique le professeur. Un état d’esprit résumé dans une brochure publicitaire de la clinique: «Un lieu élégant et raffiné, hors du temps, qui fleure bon la Vieille Europe.»
