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Le nouvel apartheid

En votant massivement pour des partis en accord d’une manière ou d’une autre avec l’infâme slogan «Eux chez eux, nous chez nous », une majorité d’Israéliens a décidé de parier sur la violence plutôt que sur la paix.

Au lendemain des législatives israéliennes, une grande radio française résumait le résultat par ces mots: «Effondrement de la droite, affirmation de la gauche et du centre». Difficile d’être plus abscons!

En réalité, en guise de centrisme, le choix des électeurs israéliens donne un coup d’accélérateur à une politique qui n’osait pas vraiment dire son nom. L’apartheid.

Historiquement, il nous renvoie directement au début des années 1960 quand, prenant à rebrousse-poil le mouvement universel de décolonisation, les Blancs sud-africains soutenus par quelques Etats complaisants (la Suisse, les Etats-Unis, Israël) élaborèrent leur politique de domination des populations noires par la division en créant une série de bantoustans prétendument indépendants d’une part et en introduisant la séparation des races dans l’Union sud-africaine d’autre part. C’était, pour le dire en d’autres termes, une entreprise de purification ethnique.

En votant massivement pour des partis en accord d’une manière ou d’une autre avec l’infâme slogan «Eux chez eux, nous chez nous »d’Avigdor Lieberman, le leader du parti extrémiste Israël Beiteinou, en acceptant de concrétiser ce slogan infâme par l’annexion illégitime en droit international de territoires occupés militairement suite à une guerre, pis encore en acceptant de matérialiser cette annexion illégitime par la construction d’une mur aux contours apparemment fantasques, mais en réalité calculé au millimètre près, une immense majorité d’Israéliens a décidé de parier sur la violence, le terrorisme et la guerre plutôt que sur la paix.

Leur responsabilité face à l’histoire est énorme: cette politique ne peut que provoquer des réactions extrêmement violentes non seulement chez leurs voisins arabes, mais dans le reste du monde. Pour nous autres Européens, cela signifie que l’on n’a pas fini d’entendre crier à l’antisémitisme chaque fois que quelqu’un osera élever la voix contre une politique désastreuse.

Car le piège tendu par l’extrême droite israélienne est en train de se refermer: on pouvait autrefois défiler en traitant les fermiers sud-africains de racistes; comment qualifier aujourd’hui les colons israéliens et leurs soutiens? Cela signifie aussi, hélas! que cet antisémitisme ne sera pas que verbal, mais qu’au contraire il va réveiller de vieux démons que l’on espérait enterrés à tout jamais depuis 1945.

Si cette perspective n’est pas réjouissante pour nous, ce qui attend les malheureux habitants du Proche Orient est tout simplement cauchemardesque. Jamais les Palestiniens ne pourront se résigner à accepter, même en baissant l’échine au maximum, le sort que leur réserve le programme d’un parti comme Kadima contraint de surcroît à une fuite en avant par la surenchère de Lieberman, de Netanyaou et des extrémistes religieux.

A l’heure actuelle, vu le rapport de force militaire, le simple citoyen israélien peut se sentir dans son droit de décréter que cela ne sert à rien de «discuter avec des terroristes» et d’affirmer qu’ils n’obéissent qu’à la force.

Mais rien n’est plus fluctuant qu’un rapport de force militaire. Si Israël a aujourd’hui les moyens de cette politique irresponsable, c’est parce que les Etats-Unis de G. W. Bush fournissent, derrière, les capitaux et les armes. Qu’en sera-t-il demain? Qu’en sera-t-il dans trois ans après la prochaine présidentielle? Ou dans dix ans quand le poids de l’électorat juif américain ne sera plus déterminant dans une élection présidentielle? Sans les Etats-Unis, Israël n’est rien.

Que les centaines de milliers d’immigrés russes qui ont voté Lieberman n’aient pas encore enregistré dans un coin de leur cerveau cette donnée vitale pour eux, passe encore. Mais les autres, ceux qui ont connu l’angoisse de 1973, où ont-ils la tête? Leur reste-t-il même une tête?

Par ailleurs, même en admettant une certaine continuité dans la politique américaine pour les dix ou vingt prochaines années, qu’en sera-t-il de la faiblesse des pays arabes? Aujourd’hui, leurs divisions les empêchent d’offrir un soutien autre que distant et moral aux Palestiniens. Mais qui ne sent bouillonner l’islamisme latent en Egypte, en Jordanie, en Arabie, dans le Maghreb?

Quand on voit ce que la force peut faire en Afghanistan ou en Irak, qu’adviendra-t-il si une partie de ces régimes venait à céder sous la pression des opposants?

On pourrait dans ces conditions penser que certaines forces politiques — l’Union européenne, la Russie, voire même la Chine — pourraient tenter une médiation. A voir la rapidité avec laquelle les rapports de force se sont radicalisés depuis quatre ou cinq ans, cela semble désormais impossible. Les choix sont faits: c’est la guerre, de forte intensité ou de basse intensité, mais la guerre tout de même qui est l’avenir proche de la région.

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