Pendant les périodes de crise, c’est toujours la même histoire: on désespère, on se peint mille diables sur autant de murailles, puis, soudain, une lueur inattendue remet le moteur de l’espoir en marche et, les yeux brillants, on se frotte les mains. Vous qui avez douté de l’Europe ces derniers temps, voici de quoi vous redonner du courage.
Dans un sondage réalisé en France, Allemagne, Grande-Bretagne, Espagne et Italie, quatre-vingts pour cent des sondés estiment que l’Europe doit être en mesure de décider d’utiliser seule ses forces armées sans le soutien des Etats-Unis. La France (87%) est la plus décidée, loin devant l’Italie (66%) où le berlusconisme fait toujours des ravages.
Quatre-vingt-deux pour cent des Européens pensent aussi qu’une politique de défense commune serait souhaitable. En tête, avec 90%, cette Allemagne que tous les atlantistes voudraient farouchement pro-américaine.
Par ailleurs, 65% des Européens sont convaincus que l’UE a les moyens de se doter d’une capacité de défense et de technologie sans le soutien des Etats-Unis.
Ces chiffres sont positivement renversants et sont une belle illustration du fait commenté ici-même il y a moins d’un mois que la crise européenne est avant tout une crise de direction, une crise due à la médiocrité d’une classe politique qui n’est plus capable de fixer de grands objectifs politiques et qui tourne en rond dans son pré carré national.
Le comportement des politiciens anglais (autour de la succession de Blair), celui des Français à propos de celle de Chirac et des Italiens après Berlusconi – au moment même où un boutefeu de la trempe de Dick Cheney vient à Vilnius en Lituanie souffler le froid sur l’Europe de l’Est et la Russie – est accablant. Que de surcroît, cela soit le président Lech Kaczynski, l’extrémiste polonais, qui doive apporter un bémol aux propos du vice-président américain en assurant qu’il ne fallait pas y voir un message anti-russe est tout simplement surréaliste.
Or, on l’oublie trop souvent, les Etats-Unis, profitant du vide stratégique créé par l’absence de politique étrangère et militaire européenne à l’Est, continuent imperturbablement de tisser leur toile autour de la Russie. Et les gouvernements qui hier encore s’aplatissaient devant Moscou signent avec Washington des accords aussi déshonorants que ceux imposés par Staline au lendemain de la Deuxième guerre mondiale.
Ils offrent des bases en perdant tout contrôle sur ce qui s’y passe: le commandement américain y fait ce qui lui plait. Cela a été accordé l’an dernier par Bucarest pour deux bases situées sur le littoral de la mer Noire qui sont utilisées pour la guerre en Afghanistan et en Irak. Sofia a suivi le 28 avril dernier en accordant quatre bases qui abriteront par rotation 2’500 soldats américains.
Les Bulgares renoncent aussi à l’application de leur propre droit aux éventuels délits commis par les soldats américains qui pourtant – ose-t-on le rappeler? – ne sont pas des troupes d’occupation! Ces facilités s’ajoutent à celles déjà accordées lors de l’adhésion à l’OTAN.
Il serait parfaitement vain de critiquer le comportement des gouvernements roumain, bulgare (ou baltes, polonais, etc.) en ce domaine: les enjeux les dépassent de très haut, ils n’ont pas les moyens (ni politiques, ni militaires) de résister. Et, surtout, eux qui sont à deux pas du bras armé de Monsieur Poutine, ne sauraient rester suspendus dans le vide!
Non, la faute est européenne. Seule l’UE aurait pu offrir une alternative, à condition d’y mettre tout de suite le prix et d’avoir une ligne politique claire. Cette ligne que les sondages révèlent: une défense commune s’appuyant sur une recherche commune et une politique étrangère commune. C’était le B-A ba d’une politique d’ouverture et de solidarité avec des peuples qui en avait bavé pendant un demi-siècle. L’occasion a été perdue, les Etats-Unis ont su la saisir.
Mais ce fut une occasion, rien n’empêche de se préparer pour la suivante.