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La dissolution de la Serbie donne le mauvais exemple

Le Monténégro a voté son indépendance vis à vis de la Serbie. En acceptant de cautionner un tel scrutin sans en mesurer la portée, Bruxelles a offert sur un plateau une jurisprudence à tout ce que le Vieux Continent compte de cinglés du nationalisme.

Si j’en crois mon Petit Robert, le mot macédoine dans son acception de «mélange disparate» est entré dans la langue en 1771, calqué sur la variété des peuples qui habitaient l’empire d’Alexandre. Balkanisation ne date lui que du lendemain de la Première Guerre mondiale, quand la péninsule balkanique à dominante austro-hongroise et ottomane fut hachée fine pour satisfaire la voracité des nationalismes locaux.

C’est assez dire que le morcellement de cette région d’Europe ne date ni d’aujourd’hui ni d’hier et que l’équipée indépendantiste monténégrine se place dans le droit fil de son histoire. Est-ce suffisant pour féliciter le premier ministre Milo Djukanovic de sa victoire? Bien sûr que non. Est-ce suffisant pour donner un satisfecit à l’administration européenne? Non encore une fois.
Cette dernière, en fixant des critères formellement démocratiques (50% de participation au référendum, 55% des voix pour le oui) a fait semblant d’oublier que le climat passionnel d’une telle votation en biaisant le vote n’avait rien de démocratique. Pourquoi ne pas attendre quelques années avant d’accepter un scrutin d’une telle importance pour l’avenir non seulement de la Serbie et du Monténégro, mais de l’Union européenne tout entière?

La Serbie s’est évidemment tiré une balle dans le pied en jouant la forte tête face à Bruxelles. La responsabilité du gouvernement de Vojislav Kostunica est accablante. Il est sûr qu’une arrestation de Mladic avant le scrutin, aurait fait perdre aux indépendantistes la poignée de suffrages (un demi-point!) qui leur a donné la victoire.

Quand on voit l’entêtement stupidement nationaliste d’un écrivain aussi doué et intelligent que Peter Handke, on peut être certain que le nationalisme serbe a encore de beaux jours devant lui. Et qu’il n’a pas fini de faire le malheur des hommes et des femmes qu’il est censé défendre. D’autant plus que le Kosovo suivra dans peu de temps. Et que s’il s’applique, il finira par perdre aussi la Voïvodine. Elle a vraiment fière allure la Grande Serbie des Sesselj, des Pelevi et des Milosevic!

Le sort des Serbes est en dernière analyse entre leurs mains et s’ils tiennent à poursuivre leur déprime collective, nous ne pouvons rien pour eux. Par contre la légèreté européenne nous concerne tous. En acceptant de cautionner un tel scrutin sans en mesurer la portée, Bruxelles a, sans aucun contrôle démocratique, offert sur un plateau un exemple, une référence, une jurisprudence à tout ce que le Vieux Continent compte de cinglés du nationalisme.

Car s’il existe un phénomène pratiquement extensible à l’infini, c’est bien l’esprit de clocher. Nous en savons quelque chose nous autres Suisses qui le cultivons depuis des siècles. Nous n’avons donc en tant que tels pas de leçons à donner aux Monténégrins. Ils désirent vivre du trafic de cigarettes comme nous vivons d’évasion fiscale et de secret bancaire.

Mais l’Europe? Que va-t-elle devenir si demain ou après-demain les Catalans, Basques, Bretons, Alsaciens, Gallois, Ecossais, Bavarois, Francs, Moraves, Valdotains, Trentins et Adigeois, Valaisans du Haut ou Valaisans du Bas décident de se donner les oripeaux de l’indépendance, même pouvoir se payer l’étoffe nécessaire à couper les drapeaux?

Il y a une trentaine d’années, Denis de Rougemont théorisait l’abolition des frontières européennes en souhaitant l’avènement d’une Europe des régions où les sous-ensembles correspondraient mieux aux aspirations des populations locales. C’est l’inverse qui se produit: on n’en finit pas d’accoucher d’Etats-nations aux chauvinismes désespérants autant que dangereux.