Jusqu’ici, les Russes ont pu rouler des mécaniques en raison de leur position de force sur le marché du gaz et du pétrole. Mais à moyen terme, les républiques caucasiennes pourront se libérer de leur tutelle.
On pourrait croire qu’il en va de la mer Noire comme de toutes les mers: elles refont l’actualité en été, au moment où il est temps d’aller lézarder sur des plages ensoleillées.
Les riverains ne rechignent pas à rechercher — dès le 1er mai qui était autrefois jour de grande fête dans tous les pays riverains à l’exception de la Turquie — sinon la chaleur de ses eaux, au moins la douceur de son climat.
En général, les dirigeants russes donnent le branle selon une tradition instaurée par les tsars et poursuivie par les hiérarques communistes. Autrefois, ils gagnaient leurs palais et datchas de Yalta en Crimée. Aujourd’hui, Yalta étant ukrainienne, ils vont à Sotchi, sur la rive orientale, à proximité de la Géorgie.
C’est ce qu’a fait la semaine dernière le président Poutine en y organisant le sommet russo-européen destiné à faire le point sur les relations énergétiques entre les deux puissances.
Après cette agitation estivale, la mer Noire retombait ensuite dans la léthargie d’une mer quasi morte, gelée en tout cas par la guerre froide. Depuis quelques années, ce n’est plus le cas et la mer Noire reprend vie, une vie qu’un historien passionné, Charles King a décrite dans un ouvrage passionnant, Black Sea, A history, (Oxford University Press, 2004) traduit notamment en italien et en roumain, mais pas en français hélas!
Depuis la haute Antiquité jusqu’à la Révolution russe, la mer Noire fut vouée (n’est-ce pas dans la nature même d’une mer?) aux échanges. C’est en train de recommencer. Un signe éloquent en est la renaissance de sa perle, le port d’Odessa qui redevient cosmopolite et actif.
Il se trouve de surcroît que cette mer reprend vie politiquement en raison de la diversité des options politiques de ses riverains. Deux d’entre eux, la Roumanie et la Bulgarie, seront dans quelques mois intégrés à l’Union européenne. La Russie ne dispose plus que d’un littoral exigu et sa grande base militaire maritime de Sébastopol, louée pour quelques années encore, est en territoire ukrainien.
Elle n’est plus en mesure d’imposer sa seule loi. Deux autres riverains la Géorgie et l’Ukraine, rejoints par l’Azerbaïdjan et la Moldavie, s’organisent pour lui tenir tête. Ils ont décidé le 22 mai dernier de resserrer leurs liens pour se rapprocher de l’Occident tant sous sa forme militaire (Otan) que politique (UE), mais surtout pour offrir un front uni aux prétentions chantagistes de la Russie en matière d’énergie. La manière dont Moscou a fermé les robinets du gaz en décembre dernier pour faire monter les prix a servi de leçon. Les quatre Etats veulent se concerter pour diversifier leurs approvisionnements en énergie, notamment à partir de la Caspienne dont il s’agit de désenclaver la production.
Face à une telle initiative, les Russes sont évidemment sur leur garde. S’ils ont pu rouler des mécaniques lors du sommet russo-européen de Sotchi en raison de leur position de force sur le marché du gaz et du pétrole, ils sont contraints par contre de temporiser vis-à-vis des républiques caucasiennes qui, à moyen terme, auront la possibilité de se libérer de la tutelle russe et même d’aider leurs partenaires moldaves ou ukrainiens.
Des signes de détente dans les relations bilatérales sont perceptibles. On le voit à l’accord signé en décembre dernier par l’Arménie, la Géorgie, la Russie et l’Etat fantoche d’Abkhazie (qui entre eux ne sont vraiment pas amis!) pour restaurer la liaison ferroviaire Sotchi – Tbilissi – Erevan détruite depuis 1992. Ou aux diverses négociations visant à apaiser les nombreux foyers de conflits sud-caucasiens. De plus, les Etats concernés et leurs voisins se retrouvent désormais régulièrement dans une de ces grandes machineries internationales dont nos contemporains ont le secret, l’Organisation de coopération économique de la mer Noire (Black Sea Economic Cooperation Organization).
Comme si cette organisation ne suffisait pas, le président roumain qui fut capitaine dans la marine marchande avant de faire de la politique a fait de l’ouverture de la mer Noire une de ses préoccupations premières.
Lundi 5 juin, il ouvrira les travaux d’un Forum de la mer Noire pour le dialogue et le partenariat dont le succès ne semble pourtant pas assuré tant il doublonne avec la BSEC.
Mais tout cela est fragile. Les sensibilités sont à fleur de peau.
Ainsi, lundi 29 mai, l’arrivée dans un port de Crimée d’un navire américains transportant du matériel militaire américain en vue de manœuvres de l’OTAN en mer Noire a été retardée par des manifestants pro-russes. Les manœuvres «Sea Breeze» doivent se dérouler du 17 juin au 2 août, avec la participation d’environ 200 militaires américains et, surprise!, de navires israéliens. Les manifestants n’ont pas vraiment insisté, mais leurs dirigeants proclamaient leur volonté de poursuivre la lutte contre l’invasion américaine.
