LATITUDES

Aéroport de Genève: les failles qui inquiètent

Deux inconnus ont été interceptés sur le tarmac genevois ces derniers mois, malgré un renforcement des contrôles. En période de menace terroriste, ces lacunes préoccupent les professionnels.

Quelques semaines après la révélation d’une tentative d’attentat au lance-roquettes à Genève contre un appareil de la compagnie israélienne El Al, on imagine l’aéroport claquemuré, ses accès verrouillés et le personnel placé en état d’alerte maximale. En fait, c’est plutôt la décontraction qui règne.

«Nous n’avons pas particulièrement renforcé les mesures de sécurité. Nous appliquons les normes de l’Office fédéral de l’aviation civile (OFAC)», indique Philippe Roy, le porte-parole de l’aéroport. Il rappelle que les menaces se trouvaient «à l’extérieur de l’aéroport» dans ce cas précis et relevaient donc de la responsabilité de la police genevoise.

Chez El Al, un responsable dit que l’aéroport n’a pas changé sa manière de travailler avec la compagnie à la suite de cette tentative d’attentat. Il révèle que ces événements ne sont pas les premiers à toucher la compagnie à Genève. «Il y a eu d’autres menaces auparavant. Elles ne sont simplement pas sorties dans la presse.» Pour parer à toute éventualité, la compagnie dispose de son propre service de sécurité, financé par l’Etat hébreu.

La nonchalance affichée par l’aéroport de Genève en inquiète plus d’un. «Il n’y a pas de vraie prise de conscience des risques encourus. On donne la priorité à une logique commerciale ou d’image, pour l’instant», dit P. K.*, un employé de sûreté.

«On est un peu à côté de la plaque au niveau de la sûreté de l’aéroport, on sous-estime le danger», relève G. W.*, une autre source sécuritaire, qui rappelle que Genève, siège de l’ONU, représente une cible symbolique de premier ordre pour les terroristes.

Concrètement, les failles dans le dispositif de sécurité se situent au niveau de l’accès au tarmac, malgré l’introduction en 2005 de portiques électroniques, de badges à puce et de fouilles systématiques du personnel.

«Les contrôles ont certes été renforcés, mais cela ne suffit pas, estime P. K. Depuis l’introduction de ces mesures, au moins deux personnes ont été retrouvées sur le tarmac sans autorisation, dont un déséquilibré qui ne pouvait même pas raconter comment il y était entré, et donc encore moins se fabriquer une fausse carte d’accès.» Ces cas devraient avoir été annoncés à l’Office fédéral de l’aviation civile (OFAC). Ce dernier se refuse à confirmer, ces informations étant «confidentielles».

En juin 2004, deux des inspecteurs de l’OFAC avaient eux-mêmes réussi à pénétrer sur le tarmac sans badge, suivis quelques mois plus tard par un journaliste déguisé en membre d’équipage.

Ces incidents ont débouché sur le renforcement du contrôle des voies d’accès — tant piétonnes que routières — et «douze personnes supplémentaires ont été engagées pour des tâches de sûreté», indique Philippe Roy. Le rapport annuel de l’aéroport indique que 4 millions ont été consacrés à la sécurisation des voies d’accès au tarmac en 2005.

Autre faille: le secteur France, entièrement géré par les douaniers de l’Hexagone et accessible sans passer sur territoire suisse. Arrivés dans la zone française depuis Ferney-Voltaire, les passagers passent dans une halle de check-in. Au fond de la salle, une porte donne sur un corridor surveillé par un douanier, qui mène aux portes d’embarquement. Mais, les jours de grande affluence, ce poste est souvent libre en raison du manque de personnel.

«Il arrive très régulièrement que des passagers empruntent ce passage avant d’avoir fait leur check-in. Ils se retrouvent alors en zone internationale, juste avant l’embarquement, avec leurs bagages et sans avoir subi le moindre contrôle de douane, raconte Alice, une employée de l’aéroport. Quelqu’un avec une bombe pourrait facilement la déposer puis repartir incognito.»

«Tous les problèmes ont été résolus, et même s’il en restait, je ne vous le dirais pas», réplique Philippe Roy. Plusieurs responsables de sécurité affirment pourtant que l’attitude de l’aéroport est insuffisante.

«Genève est l’un des rares aéroports où n’importe qui peut entrer dans le bâtiment sans présenter ni billet d’avion, ni passeport. Il est également l’un des seuls à ne pas répertorier dans un fichier électronique toutes les personnes qui arrivent sur territoire suisse», souligne P. K.

Le périmètre de l’aéroport, à proximité de plusieurs routes publiques, est une autre faiblesse, selon G. W. «N’importe qui pourrait atteindre un avion au décollage avec une roquette tirée depuis un pont. La question n’est pas de savoir si cela va arriver, mais quand», insiste-t-il.

En outre, P. K. rappelle que Genève est le point de départ pour de nombreux vols vers Israël, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, qu’un commando pourrait penser à détourner. «Ce jour-là, on demandera à la Suisse comment des hommes armés jusqu’aux dents ont pu entrer dans l’avion à Genève sans se faire repérer.»

*Noms fictifs

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Cinq services de sécurité

Cinq services de sécurité se partagent la responsabilité de la sûreté à l’aéroport de Genève.

La Police de sécurité internationale (missions diplomatiques, police des migrations, sécurité des installations et avions au sol); le Service de sécurité de l’aéroport (sécurité sanitaire des passagers, protection du feu, garde des entrées de service et du convoyage sur le tarmac); la division passagers (fouille des bagages et des passagers); la Police judiciaire genevoise (trafic de stupéfiants, vols).

Enfin, le corps des gardes-frontière effectue des contrôles ponctuels sur les appareils privés.