CULTURE

La rue prend le pouvoir, via internet

Les sites de «street style» se multiplient, de Tokyo à Helsinki et de Berlin à Shanghai. Ils bouleversent l’industrie de la mode.

La mode se crée dans la rue… On le savait déjà. Mais il y a du nouveau. Depuis peu, des photographes capturent l’esthétique vestimentaire de la rue en Occident et en Asie et la mettent en ligne sur des sites de «street style» particulièrement influents.

Tout le monde veut savoir ce que tout le monde porte. Et cela tourne à l’obsession internationale. Pendant que les fashionistas coréens scrutent comment les skateurs finlandais portent leur skinny jean, les Australiennes prennent exemple sur l’élégance des belles Parisiennes, alors que la scène berlinoise étudie méticuleusement les tenues innovantes des stakhanovistes de la nuit new-yorkaise.

Un certaine lassitude des gourons s’est installée dans le monde de la mode. L’époque est à l’apprêtement à la carte, au customisé, au mixé et au détourné. Les victimes de la mode sont de moins en moins victimes par défaut des grandes marques. Les blogs de «street fashion» débarquent comme autant d’opportunités pour le grand public de devenir le propre curateur de son look.

Ces sites tirent leur inspiration du travail du photographe nippon Shoichi Aoki, fondateur en 1997 d’un magazine entièrement dédié aux looks déjantés des rues de Tokyo: «Fruits», lui-même inspiré de la démarche du légendaire «i-D» anglais.

A l’époque, au Japon, une nouvelle génération d’ados fait son apparition, envoyant aux oubliettes la rigueur du pays et les codes occidentaux. Son feu d’artifice stylistique connaîtra une notoriété mondiale grâce au livre collector «Fruits», publié en 2001.

Curieusement, il faut attendre 2005 pour voir du «street style» en mode régulier sur internet. L’aventure de ces sites démarre en 2005 à Helsinki et New York.

Puis en quelques mois, des dizaines de blogs du genre vont bourgeonner à Paris, Berlin, Varsovie, Tokyo, lowest cialis price online, Stockholm

Au mois de juillet 2005, Liisa Jokinen et Sampo Karjalainen prennent soudainement conscience de la puissance de frappe des silhouettes d’Helsinki et décident de montrer au monde entier que de ce point de vue, leur capitale n’a rien à envier à Tokyo.

Le couple prénomme son bébé Hel Looks. Le concept est simple, mais l’exécution parfaite. Des portraits de pied, un bref témoignage sur la provenance des vêtements, un «casting» ahurissant et une qualité photographique de haut-vol ont fait de ce site un must-see et de ses «modèles» des icônes anonymes.

Plusieurs fois par semaine, Liisa, journaliste indépendante de 31 ans, arpente les rues de sa ville à bicyclette en quête de nouveaux looks. «Nous voulons encourager les gens à créer leur propre style et leur propres vêtements. Aussi nous espérons que notre site est une source d’inspiration pour les stylistes.»

Leur immense succès leur permettra d’exposer cet automne au Jugendsali d’Helsinki, puis probablement à l’internationale l’année prochaine. Aussi modestes que talentueux lorsqu’on leur parle d’avenir, ils répondent «Nous voulons que Hel Looks reste un hobby».

New York, septembre 2005. Scott Schuman, père au foyer de 38 ans, ex-dirigeant marketing dans la mode, se rend lui aussi à l’évidence: «J’étais plus inspiré par les gentlemen que je croisais dans ma vie de tous les jours que par ce que je voyais dans les magazines. J’ai donc décidé de les prendre en photo et de les mettre en ligne pour voir si ça intéressait quelqu’un.»

Résultat, en quelques mois, la pertinence de ses trouvailles et la justesse de ses commentaires ont propulsé son blogspot The Satorialist au rang de site chou-chou de l’industrie de la mode new-yorkaise.

Là-bas, une question est sur toutes les lèvres: «Suis-je «sarto-worthy» aujourd’hui?» C’est-à-dire, ma tenue est-elle digne d’intérêt pour le nouveau faiseur de goût?

Pour le Satorialist, «les magazines et les défilés ne sont que du rêve, ils représentent une part très limitée de ce qui est disponible aux clients». Scott Schuman ne cherche pas à se focaliser sur les les vêtements onéreux. Tout ce qui l’intéresse, c’est le style. «Sur une photo, on peut voir du Kiton et sur la suivante un homme d’âge mûr avec son vieil ensemble ou encore un skater. Je suis content que de jeunes adultes puissent être inspirés par les personnes plus âgées que je photographie.»

Désormais considéré comme un consultant majeur de mode masculine, Scott Schuman a été envoyé par le très fameux site de mode Style.com à Milan et Paris pour couvrir — à sa manière — les à-côtés des derniers défilés Homme. Aujourd’hui, il étudie différentes propositions pour transformer son blog en un site professionnel.

Il n’y a pas que la rue qui inspire, il y a aussi la nuit.

Quelques sites comme celui du club new-yorkais Misshapes ou celui du photographe Mark Hunter alias The Cobra Snake, exhibent les looks parmi les plus innovants du moment. En bref, de vraies cavernes d’ali baba pour sorteurs, stylistes, sociologues ou encore gentils voyeurs.

La Canadienne Jody Brandman dessine des chaussures pour jeunes filles pour une grande marque américaine. Elle avoue puiser son inspiration sur plusieurs sites de «street style».

«N’importe qui peut entrer dans un magasin et acheter la collection complète d’un designer, mais la vraie mode, les racines, l’originalité vient de la rue. Ces sites me permettent d’avoir un aperçu de ce qui se passe dans le monde de la mode avant que cela n’atteigne les magasins.»