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Fièvre électorale au Congo

Monstrueuse construction de la colonisation belge, le Congo-Kinshasa n’est pas viable sous la forme traditionnelle de l’Etat-nation. A moins d’une révolution, il restera une zone aussi sismique que les Balkans en Europe.

Pour le succès des premières élections organisées depuis le mois de mai 1960 lorsque Patrice Lumumba battit à plate couture ses principaux rivaux, la communauté dite internationale ne ménage pas sa peine. L’Europe envoie un contingent de 2’000 hommes sous commandement allemand. La moitié est déployée au Congo pour maintenir l’ordre, le reste attend au Gabon l’ordre éventuel que lui donnera l’état-major basé à Potsdam, dans la banlieue de Berlin, de sauter sur Kinshasa comme autrefois les parachutistes de Giscard d’Estaing sautèrent sur Kolwezi.

Mais cette force n’est là que pour la frime ou la forme. Ou, qui sait? pour montrer quel est encore le vrai rapport de force entre le soldat européen et son alter ego du tiers monde. Ces élections seront en effet aussi surveillées par 17’000 casques bleus onusiens et 80’000 hommes d’armes congolais. Ce qui nous donne, en arrondissant, un soldat européen pour 50 extra-communautaires. Les colonies vont toujours bien. Merci.

Elles vont même si bien que ces élections sont destinées à maquiller en démocrate un homme, Joseph Kabila, président sortant, dont on s’interrogeait naguère sur le rôle qu’il aurait pu jouer dans la disparition de son président de père à qui il succéda.

Il faut reconnaître que, porté au pouvoir en 2001 à l’âge de 30 ans, il prit immédiatement le bon parti: «Dans son premier discours, commentait Colette Braeckman, la journaliste belge qui suit l’actualité congolaise depuis des années, Joseph Kabila annonçait les décisions que les Occidentaux attendaient depuis longtemps: libéralisation des marchés des biens et services, des diamants et des changes, libre-circulation des devises, promulgation d’un nouveau code douanier et d’un nouveau code des investissements. Ce virage à 180° par rapport à la politique de son père lui ouvrait toutes grandes les portes de l’Europe et des Etats-Unis.»

On comprend dans ces conditions que, comme on ne plaisante pas avec le maquillage, l’ONU ait investi 400 millions de dollars pour que le scrutin soit convenable et présentable. Ce qui ne manque pas de piquant lorsque l’on se souvient que ce fut précisément l’ONU qui joua un rôle plus que glauque dans la chute et l’assassinat de Patrice Lumumba, le héros de l’indépendance.

L’accession au pouvoir et le virage pro-occidental du jeune Kabila ne suffirent toutefois pas à sauver la paix. La longue et inextricable guerre civile se prolongea encore pendant deux ans avant de se conclure sur le sinistre bilan de trois millions de morts.

Aujourd’hui, Colette Braeckman estime que la situation s’est stabilisée grâce à un vaste deal entre les armées étrangères prédatrices qui ont mis la main sur l’essentiel des ressources minières du pays et le groupe dirigeant kabiliste. Cela suffira-t-il à assurer la paix? Rien n’est moins certain. Le Congo-Kinshasa est une monstrueuse construction de la colonisation belge qui n’est pas viable sous la forme étatique traditionnelle de l’Etat-nation.

Trop vaste, trop complexe. Tout indique au contraire que ce pays est voué — à moins de révolution africaine comme la concevaient N’Krumah ou Nyerere il y a un demi-siècle! — à demeurer une zone aussi sismique que les Balkans en Europe.