Qu’est-ce qui faisait naguère la force d’un officier du KGB, l’ancienne police de sécurité soviétique? Le cynisme, la ténacité, la patience. Le lieutenant-colonel Vladimir Poutine n’a pas oublié ces principes de base.
Propulsé au sommet de la hiérarchie post-soviétique par le bon vouloir d’un Boris Eltsine que les officines de désinformation nous présentaient comme agonisant, il a su se faire élire à deux reprises en jouant sur la guerre en Tchétchénie, en apparaissant comme le sauveur de la patrie.
Dans près de deux ans, le mandat du président Poutine arrive à échéance. Constitutionnellement, il n’a pas le droit de se présenter pour un nouveau mandat. Mais les constitutions russes, toujours à la pointe du droit, ont une caractéristique : elles semblent faites pour être violées, et, communistes ou libérales, elles l’ont été.
Malgré ce léger handicap, le président Poutine est donc en train de préparer sa réélection. Des sondages sur mesure font apparaître qu’il est vraiment le seul à pouvoir occuper sa haute fonction et que, de surcroît, ce serait vraiment dommage de priver l’immense Russie de son savoir-faire rassurant, sécurisant, apaisant.
De manière plus concrète, le président Poutine, pour être certain de ne pas être contredit (les sondages sont ce qu’ils sont!) s’attache à gommer toute opposition à un pouvoir que l’on a qualifié d’autoritaire et qui devient en réalité ouvertement, publiquement, dictatorial. A condition bien sûr que, contrairement à ce grand ami du genre humain qu’est l’ancien chancelier Schröder, on ait envie d’ouvrir les yeux.
Car c’est bien d’une mesure dictatoriale qu’est victime le groupe Ioukos fondé dans les années fastes de la mise à l’encan des richesses russes par un voleur alors jeune et retors, Mikhaïl Khodorkovski, qui croupit dans un camp sibérien dans des conditions qu’aucun de ses délits ne saurait justifier. Ioukos vient d’être mise en faillite après avoir été pillée par d’autres requins, des fonctionnaires de l’administration fiscale obéissant aux ordres supérieurs. Et ce, bien que diverses expertises estiment que les avoirs de la société dépassent d’une dizaine de milliards de dollars les dettes réclamées.
De telles manœuvres, en langage de tous les jours, s’appellent extorsions de fonds, menaces et chantage. Elles visent à écarter de la scène économique tout acteur ne partageant pas les vues du pouvoir. Cela signifie que dorénavant, on peut taxer de collaborateur de la dictature toute entreprise financière ou industrielle travaillant en Russie. Mais ne vous affolez pas! Pas plus que pour les entreprises qui travaillent avec la Chine, personne ne le dira.
Quoique.
Quoiqu’il y a toujours des empêcheurs de tourner en rond. Par exemple, les associations citoyennes de base, les comités de défense, les associations humanitaires, les ONG civiles, civiques, religieuses, etc. En général des organisations plutôt caritatives, qui tournent grâce à l’abnégation et au sacrifice de ceux qui croient toujours en la possibilité d’améliorer l’ordinaire.
Profitant de la réelle libéralisation du début des années 1990, ces organisations sont apparues un peu partout. Elles s’occupent de protéger les faibles (soldats, prisonniers, métèques de toutes sortes), de défendre les libertés fondamentales, de favoriser l’apparition de réflexes démocratiques. Mais cela insupporte à tel point le président Poutine qu’il a décidé de balayer ces cafards avant la prochaine échéance électorale.
La méthode? La même que celle qui a permis de détruire Khodorkovski et Ioukos. En les frappant au porte-monnaie. En leur envoyant des redressements fiscaux colossaux. En les ruinant à titre individuel. Ainsi le CAPI (Centre d’assistance à la protection internationale) vient de se voir notifier un redressement fiscal d’environ 170’000 euros. Le CAPI s’est, entre autres, spécialisé dans la défense de Tchétchènes à Strasbourg.
Débitées par petites doses sectorielles, ces mesures antidémocratiques n’inquiètent guère des opinions publiques qui ont les yeux opportunément fixés sur les drames proche-orientaux. Mais dès que vous tombez sur une analyse détaillée des méfaits du système de Vladimir Poutine, vous réalisez que ce monsieur est en train de restaurer la dictature. Avec le cynisme, la ténacité et la patience du kagébiste.
C’est ce qui vient de m’arriver avec la lecture de l’excellent ouvrage que Thérèse Obrecht vient de publier sous le titre «Russie, la loi du pouvoir. Enquête sur une parodie démocratique» (Ed. Autrement). Il y est question de l’espionnite aiguë qui revient en force, de la misère des soldats victimes de la machine militaire, de la mise sous contrôle des médias, du racisme et de la racaille néo-nazie, de la dégénérescence policière, et, enfin, du déni de mémoire.
Pour avoir vécu de nombreuses années en Russie comme correspondante de la Télévision Suisse Romande et du Nouveau Quotidien, Thérèse Obrecht connaît la réalité russe en profondeur. Attachée à la défense des droits humains, elle traque tout ce qui dérape, ce qui ne colle pas avec les discours officiels et lénifiants. Pratiquant l’enquête journalistique, elle se rend sur place, ouvre les yeux, cause avec les gens et interroge les victimes et les témoins.
Le tableau qu’elle dresse de la Russie est consternant. Si consternant qu’elle n’a pas besoin de commenter les faits qu’elle rapporte, les entretiens qu’elle a réalisés, ce qui ne fait que décupler leur force. Du tout bon reportage.
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«Russie, la loi du pouvoir. Enquête sur une parodie démocratique», par Thérèse Obrecht, Editions Autrement, Paris, 2006.