GLOCAL

Lausanne se bat pour rester dans le circuit olympique

Pour défendre son statut, la capitale olympique a lancé une offensive de charme: Maison internationale du sport et cadeaux fiscaux aux fédérations sportives. Mais la politique restrictive du pays en matière d’admission des étrangers joue en sa défaveur.

Les quatre blocs vitrés qui ont vu le jour récemment dans la banlieue lausannoise, à quelques encablures du Comité international olympique (CIO), bruissent d’activité en ce début de mois d’août. Une trentaine de fédérations sportives ont commencé à emménager dans les locaux de la nouvelle Maison internationale du sport (MIS). Elles bénéficient de deux ans de loyer offerts, d’un service de réceptionniste gratuit jusqu’à fin 2007, ainsi que de diverses facilités communes (cafétéria, fitness, salles de conférences). Le tout aux frais du canton de Vaud, de la Ville de Lausanne et du CIO. Les 4300 m2 ont tous trouvé preneur. Six fédérations (canoë, bridge, bobsleigh, toboganning, masters games, presse sportive, industrie du sport) ont même déplacé leur siège en Suisse pour pouvoir y loger.

«C’est une offre attrayante. Du travail bien fait. Ces nouvelles fédérations qui s’installent à Lausanne en sont la preuve», commente Jordi Serra, le directeur de la Fédération internationale de tennis de table, installée dans la capitale vaudoise depuis une dizaine d’années.

Cette ultime offensive vient compléter les autres mesures de séduction (séminaires, publication d’un bulletin en anglais) mises en place pour favoriser les échanges entre fédérations, l’une des principales attentes de la communauté sportive internationale. «Avec la professionnalisation du personnel des fédérations – moins d’ex-athlètes et davantage de managers -, on se rend compte de la nécessité de mettre en commun ses connaissances. Les fédérations, qui ont longtemps travaillé chacune de leur côté, veulent désormais apprendre l’une de l’autre», note Grégoire Curchod, consultant chez TS Consulting, une entreprise spécialisée dans le management sportif.

Cornel Marculescu, directeur de la Fédération internationale de natation, justifie ainsi le choix de Lausanne par la possibilité d’«échanger des idées et expériences avec l’ensemble du mouvement sportif international.» De même, la Fédération internationale de canoë vient de quitter Madrid pour la capitale vaudoise, car elle avait besoin de «quelque chose de plus grand, pratique et stratégique en matière de relations», selon son secrétaire général, Antoine Goetschy.

Au niveau fiscal également, les conditions sont optimales. Les fédérations sportives reconnues d’utilité publique sont exonérées de tout impôt. Les autorités ont aussi voulu leur épargner les complications administratives, grâce à un guichet unique qui s’occupe des permis de séjour et des questions immobilières. Lausanne cherche par ailleurs à créer un «réseau des villes olympiques», avec un forum tous les deux ans à Lausanne «afin d’étudier les apports des Jeux en matière sociale, de développement durable et d’éducation», annonce Patrice Iseli, chef du Service des sports de la ville de Lausanne.

Ces initiatives découlent en fait de l’obligation pour la région de renouveler son approche face au sport international. «L’époque de “Lausanne, capitale olympique” est révolue, estime Grégoire Curchod. La ville n’attire plus autant de grands événements sportifs que par le passé. Les capitales comme Londres, Paris ou New York se sont mises à vouloir elles aussi organiser des championnats internationaux et il est devenu difficile pour une ville comme Lausanne de se battre contre ce type de candidature. Il n’y a qu’à voir les candidats aux JO de 2012.»

Plus étonnant, la politique du CIO à l’égard de la capitale vaudoise a changé depuis le départ du président Juan Antonio Samaranch. «Il avait l’habitude de nous offrir au moins un événement international tous les deux ans», déclare Patrice Iseli. La région a donc dû trouver «une nouvelle manière d’être une capitale olympique», selon Grégoire Curchod. En fait, Lausanne est en train de devenir le centre mondial de l’administration sportive. Une sorte de «Silicon Valley du sport». A terme, le consultant imagine que la ville pourrait aussi se muer en carrefour pour le marketing et la presse sportive, aujourd’hui concentrés à Londres.

Les conséquences de cette évolution amorcée depuis environ cinq ans commencent à se faire sentir. Le canton compte aujourd’hui 22 fédérations sportives et 21 organisations internationales liées au sport, ce qui représente un total de 800 emplois, contre 400 en 1998. De même, les retombées financières de la présence du CIO, du Musée olympique et des fédérations ont été chiffrées à quelque 100 millions de francs (selon une étude de HEC Lausanne réalisée en 1996).

A elle seule, la Fédération internationale de volleyball dit avoir rapporté 32 millions de francs à la région entre 2000 et 2003 (selon une étude réalisée par KPMG en 2004).

Malgré les efforts consentis par la ville et le canton, certains blocages subsistent pourtant au niveau fédéral: les fédérations sportives disent avoir de la peine à obtenir des visas pour leur personnel extra-européen. «Nous devons batailler avec l’administration, présenter plusieurs demandes», indique le directeur de la Fédération internationale de tennis de table. «Les démarches pour obtenir un visa sont lentes. Il nous faudrait un contact direct aux Affaires étrangères qui fasse le lien avec les ambassades», renchérit Tom Dielen, le secrétaire général de la Fédération internationale de tir à l’arc.

Au niveau cantonal, on a conscience de ces difficultés: «Il nous arrive d’envoyer une lettre d’appui à l’ambassade pour assister la demande d’une fédération», relève Diane Wild, déléguée au sport international pour Vaud. Quant à la nouvelle loi sur les étrangers soumise au vote en septembre, elle durcira encore les conditions de séjour en Suisse. «Tout ce qui concourt à fermer les portes n’est pas bon pour le monde international en Suisse», réagit Patrice Iseli.

A Berne, l’Office fédéral des migrations répond que «s’agissant de certains pays, l’expérience a montré que nombre de leurs ressortissants arrivés en Suisse munis d’un visa ne quittaient pas le territoire. Dès lors, certaines demandes peuvent être rejetées.» Tout le monde n’est pourtant pas logé à la même enseigne: le CIO bénéficie depuis 2000 d’un accord avec le Conseil fédéral, qui lui octroie «certains allégements administratifs» pour répondre à ses besoins en personnel étranger. Grâce à ce protocole, «les quelques difficultés pratiques rencontrées dans le passé ont été résolues», précise le directeur général du CIO, Urs Lacotte. Moins chanceuses, les fédérations n’ont qu’à s’armer de patience…

——-
Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 10 août 2006.