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Quel âge pour son premier tatouage

Des arabesques tribales au-dessus d’un short de surf XXL, une petite fleur sur l’épaule, un bijou qui scintille au creux du nombril d’une lolita ventre à l’air. Une plongée dans une piscine publique suffit pour s’en convaincre: les ados raffolent du tatouage et du piercing. Du haut de ses 14 ans, Naomi arbore fièrement une petite croix sur l’omoplate. «Un faux qui s’effacera dans deux semaines, précise l’adolescente, mais j’aimerais me faire tatouer pour de vrai prochainement ». Ses parents l’ont convaincue d’attendre un peu, de choisir soigneusement le motif qui ornera sa silhouette pour le restant de ses jours.

D’autres, comme Leonardo, 20 ans, n’ont pas attendu l’approbation parentale pour passer à l’acte. «J’ai fait un piercing à la langue à quinze ans. Pendant trois mois, j’ai prétexté que je m’étais mordu pour justifier auprès de mon père mon changement d’intonation causé par le gonflement de la langue en phase de cicatrisation», raconte-t-il en riant. Sur le haut de la cuisse, une surface intime à l’abri du regard inquisiteur de ses parents, il a rapidement enchaîné avec un tatouage tribal, le symbole scientifique «biohazard» qui étiquette les substances biologiques dangereuses pour la santé. «C’est pas l’endroit que j’aurais choisi si j’avais été plus libre, ni même un motif qui me plaît énormément, mais c’est une marque qui exprime une phase de ma vie», lâche-t-il avec un brin de regret.

La désinvolture des adolescents face à un acte pérenne, c’est le danger qui inquiète Virus, tatoueur à Lausanne: «Souvent, les gosses qui viennent nous voir se croient au supermarché. Ils se sont levés le matin avec une envie de tatouage et veulent tout de suite la mettre en pratique. Si on refuse, ils demandent un piercing ou filent s’acheter une paire de jeans.» Et de poursuivre: «Quand on les pique, ils pleurent et crient de douleur, ce qui rend le travail pénible. En plus, leurs propositions de motifs sont souvent mauvaises.» Pour toutes ces raisons, le tatoueur ne pratique son art que sur des adultes responsables: «Il n’y a pas de loi, mais on s’impose une règle.»

Une déontologie que ne partagent pas tous les professionnels de la branche. Marie-Claire Junod se rappelle qu’elle a mal réagi à la découverte de la pointe qui traversait de part en part la langue de son fils de dix-sept ans: «Le pierceur l’a fait sans mon accord, j’avais presque envie de porter plainte.» Quelques praticiens draguent même les jeunes avec une encre biologique, soi-disant provisoire: «Cinq ans plus tard, le tatouage est toujours là», avertit Virus.

Mais les transformations corporelles n’ont pas besoin d’une telle publicité édulcorante pour séduire la jeunesse qui se presse dans les ateliers de pierceurs et de tatoueurs. Exhibés dans les magazines pour adolescents, le crucifix autour de la cheville de la starlette Nicole Richie, les formules en arabes qui couvrent le corps de l’actrice Angelina Jolie ou les bras des play-boy du foot David Beckham et Fernando Torres sont des armes de promotion bien plus efficaces pour les signes imprimés sur le derme. «Dès qu’une chanteuse apparaît avec un nouveau tattoo, les jeunes filles accourent pour le reproduire sans pour autant connaître la signification du symbole», renchérit Virus.

Fruit d’un caprice, d’une mode, d’une identification à un groupe, le tatouage et le piercing effrayent les parents installés, eux, dans un temps plus long. «J’aurais aimé que ma fille opte pour un dessin plus petit en considérant son avenir», admet Fabienne Mermoud, dont la fille Amandine a décoré le creux de ses reins d’un large motif tribal à l’âge de dix-sept ans. C’est pourtant le piercing à la langue qui gêne le plus la maman: «Je le trouve provocant et j’ai l’impression que ma fille utilise ce moyen douloureux pour extérioriser ses émotions», regrette-t-elle.

Aujourd’hui, aussi courantes que sémantiquement floues, les modifications corporelles gardent une aura de flétrissure dans l’esprit de nombreux parents. Aucun besoin de remonter jusqu’aux parias et aux catins marqués au fer rouge; jusqu’il y a peu, le tatouage et le piercing marquaient une appartenance à différentes marges codifiées: réseaux sado-masochistes, groupes de motards, homosexuels. En l’espace de quinze ans à peine, les tatouages et piercings sont devenus socialement acceptables. Une banalisation sans crier gare qui a laissé certains parents désemparés. Ils doivent désormais composer avec une progéniture percée, mais aussi érotisée par ces parures liées au sexe (lire l’encadré).

Désormais dépossédés de leur fonction de stigmates qui pointent une appartenance à un milieu, le tatouage et le piercing servent aussi d’appropriation du corps, de rites de passage – dans la douleur de l’aiguille – à l’âge adulte. Un signe qui colle finalement assez bien à cet âge ingrat qu’est l’adolescence.

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«Une volonté d’exister dans un autre environnement que la famille»

Nicolas Liengme, 36 ans, pédopsychiatre, fondateur et directeur de l’association Païdos qui vient en aide aux jeunes en difficulté.

Les parents doivent-ils s’inquiéter des modifications corporelles – tatouages, piercings – que veulent pratiquer leurs enfants?

Nicolas Liengme: Du moment que l’acte s’inscrit dans une culture répandue dans la tranche d’âge de l’adolescent, il n’y a en général pas lieu de s’inquiéter. C’est le décalage entre la culture environnante de l’adolescent et l’acte qui doit faire souci aux parents. Si la demande venait d’un enfant de douze ans et que les parents étaient inquiets, je conseillerais de solliciter un avis professionnel auprès d’un psychologue ou pédopsychiatre

Comment les dissuader?

Personnellement, je cherche à savoir ce que signifient pour l’adolescent ces actes au corps tout en mettant en garde de l’effet irréversible.

Est-ce que les tatouages et les piercings sont les marques visibles d’un mal-être de l’adolescent?

Le plus souvent ces actes ne sont pas le signe de dysfonctionnements. Mais parfois le besoin de démarcation dépasse un simple phénomène de mode. Il peut revêtir un caractère d’attaque au corps, de mutilation. Cela révèle d’une difficulté à trouver sa place dans la société. Le recours à l’acte est alors le signe d’une défaillance à pouvoir traiter plus psychiquement ce besoin d’identité propre.

Et que penser de la connotation érotique?

Tatouage et piercing s’inscrivent dans une recherche relationnelle où sexualité, érotisme et libido sont suggérés. Du côté des filles, le caractère de séduction est particulièrement présent, et cela, les parents le détectent, non sans réactions négatives. Mais l’adolescence est une phase de recherche d’identité propre. A cet âge, les jeunes ressentent le besoin d’être autre chose qu’un conglomérat des valeurs de papa et de maman. Le tatouage est pour eux un moyen d’exister dans un autre environnement, celui du groupe de copains. Le groupe est pourvoyeur d’identité, une première étape dans l’édification d’une personnalité indépendante.