- Largeur.com - https://largeur.com -

«J’ai vu Logitech grandir comme mon enfant»

Dans un secteur très concurrentiel et un climat compétitif, Logitech affiche une croissance insolente et des bénéfices record depuis 30 trimestres d’affilée. Si le groupe fondé en 1981 par le Vaudois Daniel Borel réalise encore l’essentiel de ses revenus avec la fabrication de souris et de claviers, notamment sans fil, le processus de diversification, entamé en 1988, continue.

Numéro un de l’interface, Logitech construit aussi des webcams, des joysticks, des télécommandes, des écouteurs pour iPod ou téléphone mobile, ainsi que des haut-parleurs qui s’utilisent aussi bien avec un PC qu’un lecteur DVD. Le constructeur vient de présenter une télécommande munie d’un écran permettant de piloter et diffuser la musique de son PC dans toute la maison. Objectif: remplacer la chaîne hi-fi par un ordinateur relié à des enceintes sans fil.

La fabrication sous-traitée de souris (pour Apple, Dell ou HP) reste importante en terme de volume (65 millions de pièces par an), mais représente aujourd’hui moins de 10% de revenus de Logitech. L’entreprise a passablement développé sa marque, et profité du boom de l’informatique domestique dopé par l’essor de l’internet. Autre bonne nouvelle pour elle: la vente de périphériques n’a que peu souffert du crash de la nouvelle économie. Au lieu de changer d’ordinateurs, les usagers ont préféré acheter des gadgets utiles et moins chers proposés par des marques comme Logitech.

Rencontre avec Daniel Borel, fondateur et artisan de la réussite de Logitech, dont le siège est à Romanel sur Morges (VD).

Chaque trimestre, Logitech annonce des résultats record. Les nouveaux produits se suivent. Comment gérez-vous une telle croissance?

Si l’on prend les vingt dernières années, Logitech a connu une croissance moyenne de 25% par année pour atteindre aujourd’hui un chiffre d’affaire de 2,3 milliards de dollars. Sur les douze derniers mois, 140 millions de produits portant le logo Logitech ont été vendus. A titre de comparaison, Swatch vend 12 millions de montres dans une même période. Avec une catalogue de 2000 produits commercialisés dans 100 pays, la logistique devient un défi très important. J’ai vu grandir cette entreprise comme mon bébé. Aujourd’hui, cet enfant est devenu adolescent, les problèmes ne sont pas les mêmes.

En bon père, craignez-vous encore parfois pour son avenir?

Aujourd’hui, la situation est évidemment rassurante, mais cette industrie évolue si vite… On a vu des géants comme Lotus, Digital ou Compaq disparaître en quelques années. Ce printemps, Silicon Graphics, pionnier de la visualisation informatique, a déposé son bilan. Il faut sans cesse innover et trouver de nouveaux débouchés. Nous avons récemment engagé trois nouveaux seniors dans l’équipe de direction, dont un ancien de Dell et de HP. Nous arrivons désormais à attirer les meilleurs talents grâce à l’excellente réputation de l’entreprise et de ses produits. L’évolution du secteur, et des besoins en matière d’électronique domestique, me rend confiant.

Comme fondateur, possédez-vous encore une part importante du capital?

Je suis l’actionnaire individuel le plus important de Logitech avec 7% d’un capital qui s’élève à 4 milliards de dollars.

Cela représente une fortune de 300 millions de dollars. Vous sentez-vous immensément riche?

Je ne vis pas comme un milliardaire, d’autant que je ne le suis pas! Vous savez, on ne conduit qu’une voiture à la fois. Et on ne mange que trois fois par jour…

Logitech vient de présenter de nouveaux périphériques pour la maison (télécommande universelle pour diffuser la musique). Comment voyez-vous l’évolution des produits d’une manière générale?

Notre stratégie reste fidèle à un slogan que nous utilisons depuis longtemps: «Intel inside, Logitech outside». Autrement dit, nous consacrons notre énergie à faciliter l’interaction avec les machines. La tendance est forte: l’ordinateur disparaît et devient une «boîte noire» avec lequel nous interagissons pour communiquer, transmettre des données, etc. Nos produits ne sont pas pensés pour des PC, mais pour des applications: nous vendons des accessoires pour iTunes (enceintes pour écouter de la musique), pour Skype (des casques-micro pour téléphoner) ou pour MSN (caméras pour la visioconférence). D’autres de nos applications se destinent aux consoles de jeux ou aux téléphones mobiles. Notre succès vient aussi du fait que de nos tarifs: 80% de nos produits coûtent moins de 100 dollars.

Initié l’an dernier, le partenariat avec Microsoft en matière de messagerie vidéo a-t-il porté ses fruits?

Une de nos filiales, SpotLife, gère les visioconférences de MSN. Nous offrons ce service à Microsoft en échange d’une présence publicitaire avant chaque dialogue vidéo. Depuis le lancement de la version 7.0 il y a environ un an, notre système a hébergé 8 milliards de visioconférences, autant dire que l’impact publicitaire est énorme. Développer une marque comme Logitech dans le monde entier coûte cher. En dix ans, nous avons investi 1,2 milliard de dollars dans le marketing…

Votre allié Microsoft est aussi votre concurrent dans le secteur des claviers et des souris…

Oui, nous appelons ça la «coopétition». C’est relativement courant dans notre secteur. On se bat contre certaines divisions de Microsoft et on travaille main dans la main avec d’autres. Nous sommes ravis de cette stimulation.

Vous sentez-vous plus proche de la culture Microsoft, Google ou Apple?

Les gens vraiment cool ne travaillent pas chez Microsoft. Ils sont chez Google, Apple ou chez Logitech. Ceux de Microsoft sont quant à eux les meilleurs business people. Nous nous sentons proche d’Apple, sans doute aussi car notre CEO, Guerrino De Luca, vient de chez eux. Notre entreprise partage cette culture de l’amour des produits, de la création et de l’innovation. Chez Google, il y a cette culture «funky» de jeunes ingénieurs qui veulent se battre. Mon fils y travaille, c’est un esprit d’entreprise extrêmement stimulant.

——-
Une version de cet article est parue dans le magazine Trajectoire.