Moyen d’acquérir de la maturité ou d’affirmer sa liberté, le poil au menton marque un retour en force. Portraits de nouveaux barbus.
Longtemps considérée comme une marque d’austérité, de négligence ou, pire, de ringardise ultime, la barbe connaît depuis peu un regain d’intérêt. De plus en plus de personnalités du monde artistique ou culturel l’arborent sans aucun complexe.
C’est le cas de l’écrivain et chroniqueur littéraire Frédéric Beigbeder, qui présente depuis la rentrée son nouveau look sur Canal Plus, ou du très élégant nouveau directeur de la création chez Yves Saint Laurent, le Milanais Stefano Pilati. Le phénomène envahit aussi la musique et le sport, à l’image du rappeur français Cuizinier ou du tennisman chypriote Marcos Baghdatis.
«Dans les milieux professionnels qui n’imposent pas un dress code strict, beaucoup d’hommes éprouvent une réaction épidermique face à la cravate et à ce qu’elle représente, explique Nick F. Cerutti, designer et ancien enseignant à la Haute Ecole d’arts appliqués de Genève. En Suisse, plus particulièrement, je pense que l’on vit dans l’angoisse de ressembler à l’analyste financier alémanique rasé de près.» Selon lui, la barbe redonnerait à celui qui la porte un moyen de personnaliser son image, encore davantage que par le choix de ses habits.
Le patron de Novartis, Daniel Vasella, avait, on s’en souvient, surpris l’univers très conventionnel des affaires en se présentant un matin avec une barbe grise jugée très décontractée. Certains trentenaires voient en revanche dans le poil le moyen d’acquérir un surcroît de sérieux et de maturité. Coordinateur des expositions au Centre d’art contemporain Genève, Denis Pernet, 32 ans, a ainsi décidé de se faire pousser la barbe lors de l’obtention de son nouveau poste, «afin de paraître plus vieux et de gagner en crédibilité».
Pour Gregory Chapuisat, artiste romand de 34 ans, qui expose actuellement à la galerie Lucy Mackintosh, la motivation était sensiblement la même. «Rasé, j’ai un visage très enfantin, raconte-t-il. Porter une barbe me vieillit et me donne plus d’assurance en moi. En outre, je constate que j’attire ainsi l’attention de femmes plus âgées et posées, ce qui me convient parfaitement.»
Mais, aussi sauvage soit-elle, la barbe demande un minimum d’entretien et, parfois même, le savoir-faire d’un professionnel.
«De plus en plus de jeunes viennent se faire tailler la barbe chez moi, se réjouit le barbier lausannois Jean-Pierre Pache, qui constate une nette croissance de sa clientèle. Beaucoup ont tout simplement remarqué qu’il était difficile de maintenir une certaine symétrie par leur propres moyens, surtout lorsqu’ils portent de fins colliers ou un bouc.»
Jugée trop rigide, la moustache ne connaît pas le même engouement. Même des inconditionnels comme les conseillers fédéraux Samuel Schmid et Moritz Leuenberger semblent l’avoir définitivement abandonnée.
«Coupée de façon identique, la barbe aura toujours une autre brillance, une autre teinte que chez le voisin, ajoute Nick F. Cerutti. La cultiver comporte en outre un aspect fun, voire kitsch, totalement assumé.»
Selon lui, l’actuelle génération de trentenaires chercherait ainsi à revenir à l’insouciance des seventies, en empruntant ses codes visuels et capillaires. «Mais, ajoute-t-il, le retour du poil auquel nous assistons aujourd’hui n’est pas une rébellion contre l’ordre établi: l’idée maîtresse est le second degré et la célébration du moi.»
