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Profession: mal-aimé

Ils exercent une fonction répressive, souvent vêtus d’un uniforme, un bloc-notes à la main sur lequel ils consignent noms, adresses et montants. Ils sont les gardiens d’un ordre et d’une équité. Un sacerdoce qui s’accompagne de frictions souvent violentes avec la population.

Natacha Delabays a vécu plus d’un conflit dans sa pratique de contractuelle lausannoise: «Au petit matin, un patron de bar m’a accosté parce que j’avais collé un de ses clients. Il m’a presque sauté dessus, hurlant à dix centimètres de mon visage. Derrière lui, sept ou huit acolytes sont sortis du café et ont menacé de me frapper. L’altercation a duré une vingtaine de minutes avant que du renfort arrive», témoigne-t-elle. Cette expérience particulièrement traumatisante, alors qu’elle venait d’apprendre qu’elle était enceinte, reste son pire souvenir en quinze ans de métier.

Marcello Zucco, responsable des contrôleurs de bus lausannois, reconnaît pour sa part que chaque jour ses agents essuient des insultes. «Qu’ils travaillent dans les bus ou à nos guichets», précise-t-il. Les coups pleuvent plus rarement, mais ne sont pas exceptionnels. «L’an dernier, un homme m’a balancé un coup de pied au moment où les portes du bus s’ouvraient. Cela alors même qu’il était en règle», enrage Tex, agent de contrôle sur les lignes lausannoises. Haine de l’uniforme, xénophobie: les motifs d’agression ne manquent pas dès qu’on s’attaque aux porte-monnaie des fraudeurs.

Plus exposés encore à la vindicte sont les huissiers qui établissent les actes de saisie chez les mauvais payeurs. «J’avais convoqué un débiteur à nos bureaux pour une saisie de véhicule. Au moment où nous étions seuls dans le souterrain du parking pour évaluer la valeur de sa voiture, il m’a délivré un coup de poing qui m’a laissé sans réaction», se souvient un huissier lausannois. Cet employé de l’office des poursuites, qui souhaite rester anonyme, admet que sa profession n’est pas sans danger: il s’est fait agripper plusieurs fois par la chemise et a été victime de vandalisme sur son automobile.

«On ressent toujours une petite appréhension lorsqu’on doit opérer seul une saisie au domicile d’un débiteur avec lequel on rentre on contact pour la première fois», résume-t-il.

Pour gérer ce stress, pas de recette miracle. C’est l’expérience du terrain qui permet de désamorcer les situations potentiellement conflictuelles. «Comme nous travaillons en équipe, nous nous soutenons les uns les autres, nous savons exactement comment agir quand un collègue se trouve en difficulté. Il y en a toujours un qui prend les choses en main en cas d’escalade», note Nicole, contrôleuse au TL depuis six ans. «Après quelques années de pratique, on arrive mieux à percevoir les signes», confirme l’huissier. «Tout se joue dans la façon d’aborder les gens, dans la manière de leur parler», renchérit Natacha Delabays.

Un travail de pacificatrice qui a transformé la jeune femme: «J’ai beaucoup appris dans la pratique de ce métier, notamment à vaincre mon côté introverti», se réjouit-elle. De façon générale, leur statut de «punching-ball social» n’effraie plus ces professionnels. Ce sont les aspects positifs de leur métier qui priment. Car contact n’est pas toujours synonyme d’altercation. «L’autre jour, on a rencontré deux gosses mineurs d’Arabie Saoudite, seuls et sans billet dans le bus vers 22 heures. Au lieu d’appeler la police, nous avons directement pris contact avec leur hôtel et nous les avons raccompagnés», raconte Tex, qui voit volontiers un rôle plus chevaleresque dans son activité répressive. Plus cliché, le fantasme de certains hommes pour la femme en uniforme a valu à Natacha Delabays de franches rigolades. «Et certaines personnes se confient volontiers à nous. Parfois, j’ai entendu des histoires de vie très émouvantes.»

Mais les insultes répétitives fatiguent beaucoup. Employée depuis cinq ans dans un central téléphonique qui fait office de service de réponse et de hotline pour différentes entreprises, Corinne admet qu’elle n’arrive pas toujours à prendre la distance nécessaire: «Notre rôle se limite au passage d’informations, mais nos interlocuteurs ne le comprennent pas toujours. Il m’arrive de ressentir un sentiment d’injustice quand je me fais engueuler à la place du client qu’ils essaient de joindre.»

Comment poursuivre sa journée comme si de rien n’était? «Le fait de quitter l’uniforme suffit à me faire oublier les tensions de la journée», répond Tex. Face à des circonstances graves, certaines entreprises, comme la police, ont récemment mis en place des services d’assistance psychologique. Les contrôleurs peuvent également prendre une pause pour une mise au point directe. Mais rien de tel pour les opératrices téléphoniques comme Corinne. Mais comme dit Marcello Zucco: «Ce sont des métiers dans lesquels il faut un caractère mieux fait que la figure.»

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Du self-défense pour les contrôleurs lausannois

3% de resquille, c’est l’excellent bilan des contrôleurs lausannois. «Le résultat d’une forte présence sur le terrain», se félicite Marcello Zucco. Une présence qui rassure les usagers dès la nuit tombée, mais qui ne va pas toujours sans heurts avec les fraudeurs. Insultes quotidiennes et agressions physiques en font un métier à risques.

Du coup, à Lausanne, on soigne la condition physique des contrôleurs au cas où ça devait chauffer entre Praz-Séchaud et Pully-Port. «Ils ont la possibilité de s’entraîner deux heures par semaine en salle de sport et suivent des cours de self-défense pour apprendre à éviter les coups», énumère Marcello Zucco.

Aux biscotos d’athlètes s’ajoute une bonne dose de psychologie et de self-control: «On leur apprend à ignorer les insultes qui s’adressent à l’uniforme et non à la personne. Il faut aussi savoir qu’une injure comme «fils de p…» s’est banalisée et n’a plus la même violence aujourd’hui qu’il y a vingt ans, n’en déplaise à Zidane», analyse le responsable lausannois.

Chaque mois, Marcello Zucco retrouve ses agents pour une séance de brainstorming, l’occasion pour eux d’extérioriser ce qu’ils ont emmagasiné sous la carapace de leur imperméable bleu. Celle aussi de trouver de nouvelles parades. «Nous invitons en outre une fois par an un expert extérieur en gestion du stress avec lequel nous simulons certaines situations conflictuelles sous la forme de jeux de rôles», poursuit le responsable.

Une prévention qui porte ses fruits, mais ne suffit pas à calmer tous les contrevenants irascibles. Grâce à la «charte sécurité», entrée en vigueur l’an dernier, les contrôleurs des transports publics sont désormais mieux protégés en cas de violence à leur égard. Cet accord stipule que l’entreprise prend en charge les poursuites judiciaires au nom de l’employé. Plus besoin donc pour la victime de se lancer dans de longues démarches décourageantes en solitaire. Un instrument qui, d’après Tex, joue un effet dissuasif dans les bus.