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Segolène, à fond la forme

Le retrait de Jospin dégage la piste. Au lieu d’un affrontement gauche/droite, on se dirige vers ce que certains appellent une «démocratie d’opinion», dont les acteurs sont people-isés. La forme a tendance à prendre le pas sur le fond.

Ouf! Malgré sa solide réputation de têtu de chez les entêtés, Lionel Jospin a renoncé à sa course chimérique à une nouvelle candidature présidentielle. C’est désormais un boulevard qui s’ouvre devant Ségolène Royal qui, selon toute probabilité (nous serons fixés mardi 3 octobre sur le maintien ou non de Jack Lang), va devoir se mesurer avec deux concurrents seulement, Fabius et Strauss-Kahn, pour obtenir l’investiture du parti socialiste le 16 novembre.

Comme la dame ne cesse de caracoler en tête des sondages, elle devrait facilement l’emporter, nombre de militants se disant que Strauss-Kahn donné battu contre Sarkozy dans tous les cas de figure sera plus utile à la tête du gouvernement ou du ministère de l’Economie. Quant à Fabius, il s’est lui-même cantonné dans un stérile souverainisme de gauche capable de couler une constitution européenne mais pas d’emporter la présidence.

Depuis sa percée médiatique début janvier lors de son voyage au Chili, elle a su (en neuf mois!) élargir avec finesse son assise politique sans commettre de dérapages trop voyants comme lorsqu’au début de la crise hongroise elle se réjouit de voir les jeunes investir la rue en oubliant que leur cible était un camarade de l’Internationale socialiste. Consciente du fait qu’elle ne pouvait rien sans le parti socialiste, ses chefs, sous-chefs et cheffaillons, elle a profité de la position de François Hollande (quoi qu’il en dise) et de son propre charisme en ralliant peu à peu de nombreuses fédérations à sa démarche.

Insensiblement, le paysage politique français s’en est trouvé transformé. Au lieu du traditionnel affrontement gauche/droite, partis contre partis, on se dirige vers ce que les caïds socialistes et gaullistes en perte de vitesse appellent avec un mépris évident une «démocratie d’opinion» dont les acteurs, obéissant aux impératifs du temps, sont people-isés. La forme a tendance à prendre le pas sur le fond.

Il s’agit là du dernier avatar du post-modernisme politique induit par la rupture des équilibres planétaires, la généralisation du néo-libéralisme mondialisé et le poids toujours plus grand des médias électroniques. Cette tendance, particulièrement frappante en Europe de l’Est, demande encore à être confirmée en Europe occidentale.

Mais les jalons déjà posés sont importants: à gauche, le blairisme a dégagé à tel point le terrain qu’élu à la tête d’une coalition de droite, Fredrik Reinfeldt, le jeune et nouveau premier ministre suédois, ose s’en réclamer contre la plus forte social-démocratie du monde. A droite, le berlusconisme avait cette ambition et ne doit son échec qu’à la stupidité de son promoteur.

Une des caractéristiques de ce nouveau trend politique est la nécessité de maintenir le plus longtemps possible dans le flou ce qui en d’autres temps aurait formé un programme politique. Sur ce point, Ségolène Royal a une bonne longueur d’avance sur Sarkozy qui, en s’alignant pompeusement (et vaniteusement) sur George W. Bush, vient de perdre quelques fortes brassées de vote droitiers.

Si le gaullisme a perdu de son éclat, l’antiaméricanisme gaullien a encore de nombreux adeptes qui n’hésiteront pas à voter Royal le moment venu, surtout si Chirac y met du sien. Les confidences de l’ancien président Giscard d’Estaing sont là pour le rappeler.

A huit mois de l’élection, la gauche «royaliste» a donc le vent en poupe et le conservera à condition justement d’oublier qu’elle est de gauche. Cela fera hurler les Fabius, Buffet, Besancenot et autres Laguiller, mais, à moins de nouvelles éruptions révolutionnaires au cours de l’hiver, ils ne pourront pas changer la donne. Quant à son adversaire de droite, le seul qui compte, Madame Royal le laisse placidement s’empêtrer dans ses rodomontades. Pourquoi attaquer quelqu’un qui se décrédibilise lui-même? Réponse en mai. Mais nous aurons à coup sûr l’occasion d’en reparler.