TECHNOPHILE

De l’influence des moteurs de recherche sur le journalisme

Dans la presse imprimée, les meilleurs titres d’articles sont ceux qui excitent votre curiosité. Mais cette règle n’est pas valable en ligne. La faute aux «crawlers». Explications.

Qu’est-ce qu’un bon titre d’article? Il incite à poursuivre la lecture en titillant la curiosité du lecteur, en parlant à son imagination, en l’intrigant. Mais ce qui est vrai pour l’imprimé ne l’est pas pour la presse en ligne.

Sur internet, le style rédactionnel doit souvent s’adapter à une nouvelle contrainte: retenir l’attention des logiciels d’indexation des moteurs de recherche.

Il faut savoir que les moteurs de recherche tels que Google, Yahoo ou MSN s’alimentent à l’aide de programmes qui écument le Web, analysent et retiennent les articles publiés.

Or, ces logiciels (appelés «crawlers») ne reconnaissent pas les jeux d’esprit, l’ironie, l’humour ou le style d’une écriture. Leur cerveau, en quelque sorte, n’a qu’une hémisphère gauche. Que faire alors pour qu’ils mordent à l’hameçon?

Dans un article paru dans les colonnes du New York Times, le journaliste Steve Lohr s’est penché sur la question. Pour qu’un article publié en ligne retienne l’attention des crawlers, écrit-il, «il faut que son titre soit truffé de mots-clés basiques qui permettent de ratisser large. Sa syntaxe doit être simple. Le premier paragraphe de l’article, passé lui aussi au crible du programme, doit obéir au même principe.»

Les hameçons auxquels mordent les crawlers diffèrent donc énormément de ceux qui attirent les lecteurs. Les journalistes en ligne le savent bien, qui n’écrivent plus uniquement pour des êtres humains, mais également pour ces robots du Web. La question de savoir si tel titre titillera la curiosité du lecteur a laissé place à: «le crawler le sélectionnera-t-il?»

Cette démarche porte un nom, c’est l’«optimisation des moteurs de recherche» (SEO, ou Search Engine Optimization).

Le New York Times en tient compte, qui invente toujours deux titres pour ses articles: l’un pour la version imprimée, l’autre pour le site internet.

L’évolution des titres de «Libération» illustre bien le phénomène. Le quotidien français, qui privilégiait les titres percutants, recourt sur son site à des accroches beaucoup plus sobres qui ne diffèrent guère de celles du «Monde».

D’incitatifs sur le papier, les titres sont devenus informatifs sur l’écran. Leur fonction quasi exclusive est de transmettre le contenu essentiel d’une nouvelle. L’inspiration? On l’oublie. Un titre original qui ne dévoile pas l’information ne sera pas indexé.

«Placer l’idée essentielle dès le premier paragraphe, c’est le graal de l’écriture sur le Web», conseille Pascal Maupas, qui a fondé une société spécialisée dans le référencement.

La SEO bouscule moins le langage des titres du monde anglo-saxon que celui du monde francophone. Les francophones, privilégiant la rhétorique, diffusent en effet souvent le message après le développement de thèses et d’antithèses, alors que les anglophones commencent en général par résumer le message essentiel.

Ce style anglo-saxon résulterait d’ailleurs également de l’adaptation à une technologie: le télégraphe, qui exigeait d’aller sans tarder à l’essentiel. De tout temps, l’écriture journalistique s’est adaptée aux contraintes techniques.