Elle n’était pas pour rien la star des salons de New York et de Paris le mois dernier. L’immense LS600h de Lexus, dont la sortie en Suisse est prévue à la mi-2007, annonce des performances exceptionnelles. Premier véhicule hybride équipé d’un V8 couplé à deux moteurs électriques, cette luxueuse machine développe une puissance phénoménale de 435 chevaux.
Des performances haut de gamme, capables de concurrencer sans rougir une Mercedes Classe S ou une Maserati Quattroporte, et qui ne semblent du coup pas vraiment viser le segment des conducteurs écolos.
Tout comme sa petite soeur, la Lexus GS450h, d’ailleurs. Disponible depuis quelques semaines en Suisse, cette berline plus compacte atteint 100 km/h en 5,9 secondes, soit plus rapidement qu’une Porsche Boxster.
C’est pourtant bien à la clientèle soucieuse d’économiser l’énergie que s’adressent ces nouveaux véhicules hybrides de la marque japonaise. Une clientèle qui voudrait peut-être aussi préserver la nature, mais qui apprécie tout autant, si ce n’est davantage, les belles mécaniques et les performances de pointe.
Un mélange d’exigence, de luxe, agrémenté d’une touche d’écologie. Bref, un compromis très suisse. Et il n’est donc pas étonnant que les véhicules hybrides connaissent un succès exponentiel dans notre pays. En particulier depuis que le constructeur japonais Toyota a étoffé sa gamme vers le haut, sous sa marque Lexus.
Car si le démarrage a été relativement timide, c’est surtout en raison de la pauvreté de l’offre. Dessinée pour le marché japonais — donc moche et banale selon nos standards –, la Toyota Prius, première du genre sortie en 2000, s’est vendue, au début, essentiellement à des collectivités publiques et à des entreprises soucieuses de leur image.
En cinq ans, le constructeur en a tout de même écoulé 2500 exemplaires. Grâce à la sortie d’un nouveau modèle un poil plus stylé, en 2004, et à la hausse du prix du pétrole, les ventes se sont accélérées depuis, au point que Toyota s’est trouvé en rupture de stock en 2005.
Il faut encore actuellement compter quatre mois d’attente pour acquérir une Prius en Suisse. Cette année, Toyota en a vendu, commandes non livrées comprises, un bon millier d’exemplaires.
A environ 40’000 francs, soit 20% plus cher qu’un modèle essence comparable, la Prius intéresse le conducteur pragmatique, soucieux d’économie de carburant plus que d’esthétique.
Un créneau «bon papa provincial» que vise aussi Honda, seul concurrent de Toyota sur ce créneau en Europe, avec sa Civic Hybrid. Mais Honda totalise des ventes beaucoup plus faibles que son rival (moins d’une centaine de voitures par an) et Erwin Dahinden, le responsable des ventes pour la Suisse, s’arrache les cheveux:
«Nous pourrions facilement en vendre 400 ou 500, mais l’usine n’arrive pas à répondre à la demande mondiale, alors chaque pays se voit attribuer un quota. Et nos listes d’attente s’allongent, si bien que nous ne pouvons honorer une commande aujourd’hui qu’en juin 2007, si tout va bien…»
Prius et Civic, on l’a dit, souffrent d’un design conventionnel et de performances relativement molles, amenuisées encore par la lourdeur de leurs batteries. C’est l’arrivée du premier modèle Lexus l’an dernier qui a propulsé l’hybride vers de nouveaux horizons.
Le RX400h, un gros 4×4 comme les détestent les écologistes, coûte plus de 90’000 francs, soit 30% de plus que sa version essence. Là, on change de créneau pour viser une clientèle de cadres supérieurs épicuriens, les mêmes que l’on imagine en Porsche Cayenne, Range Rover ou Mercedes ML.
Des conducteurs de 4×4 moins soucieux d’écologie que d’économie de carburant: «La consommation est réduite d’un bon tiers, même davantage en ville, ce qui diminue la facture d’essence de façon significative», confirme l’avocat pamphlétaire Charles Poncet qui, comme l’explorateur Bertrand Piccard, en a acheté une. «En plus, plaisante-t-il, à basse vitesse, le moteur électrique est silencieux, ce qui permet d’écraser plus facilement les écolos transpirant sur leurs vélos car ils ne m’entendent pas arriver!»
Chez Toyota, on regarde la croissance des ventes avec un enthousiasme doublé d’étonnement. «Sur les mille Lexus vendues en Suisse cette année, plus de la moitié, soit 600 véhicules, sont des 4×4 hybrides, se réjouit Marianne Dätwyler, porte-parole du constructeur. Ce modèle a connu un grand succès en Suisse, en particulier si l’on compare la situation aux autres pays européens. Les commandes pour la nouvelle GS450h affluent, et nous nous réjouissons de l’arrivée de la LS600h. Car pour nous, l’hybride a clairement un immense potentiel en Suisse.»
Et pas seulement en Suisse, évidemment, même si les perspectives mondiales de cette technologie divisent les experts.
C’est que les projections dépendent des régions, des usages, de l’évolution de technologies concurrentes comme la pile à combustible et, surtout, du prix du pétrole.
Selon l’institut américain d’études énergétiques JD Power, les véhicules hybrides représenteront, aux Etats-Unis, 3,5% du marché d’ici à 2010. D’autres, comme le groupe ABI Research, projettent jusqu’à 6% de pénétration globale.
En Europe, la proportion pourrait atteindre 10% d’ici à la fin de la décennie déjà, puisque l’essence y est beaucoup plus chère. Et ExxonMobil anticipe 30% de véhicules hybrides d’ici à 2030.
Quoi qu’il en soit, cela représentera des centaines de milliers de véhicules, et le nombre de modèles disponibles va rapidement exploser.
«Il y a une « fenêtre de tir » sur le marché en attendant la pile à combustible, qui prendra au moins encore dix ans avant de devenir réellement exploitable à des prix compétitifs, analyse Jean-François Menthonnex, conseiller technique au TCS. Pour l’instant, il y a un déficit dans l’offre de véhicules hybrides et une forte demande du marché, dopée par l’augmentation du prix de l’essence. Donc les constructeurs investissent massivement le créneau.»
Certains à contrecoeur, notamment les européens comme le groupe VW. «Nous étions les premiers à avoir réfléchi à un moteur électrique-essence avec l’Audi Duo, sortie en 1989, donc nous sommes bien placés pour parler, dit Harry Meier chez Audi. Pourtant, aujourd’hui, nous ne sommes pas 100% convaincus par la technologie hybride, qui a notamment le désavantage de la complexité et du poids. Pour nous, le diesel n’a pas dit son dernier mot, comme nous l’avons démontré avec notre victoire aux 24 Heures du Mans cette année. Au sein du groupe VW, nous pensons pouvoir atteindre, à relativement court terme, les performances énergétiques des moteurs hybrides avec un diesel muni d’un filtre à particules, qui peut par ailleurs aussi fonctionner avec du carburant bio (biodiesel).»
Malgré ces réticences, Audi commercialisera en 2008 son nouveau 4×4, le Q7, en version hybride. De concert avec ses cousins: le Touareg de VW et le Cayenne de Porsche. Les autres géants, General Motors, DaimlerChrysler et BMW, investissent à fond pour rattraper leur retard (lire ci-dessous) et sortiront leurs premiers modèles avant la fin de la décennie. L’avenir s’annonce donc clairement hybride sur nos routes.
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Avantages et inconvénients du moteur hybride
Silencieux, le moteur électrique se révèle particulièrement économique en ville. Mais les batteries alourdissent le véhicule, ce qui le fait consommer davantage sur les autoroutes. Plus coûteux à l’achat, le véhicule hybride est aussi plus complexe, donc plus difficile à dépanner.
Le système s’appelle «hybride» car il allie deux moteurs, l’un à essence, l’autre électrique, ainsi qu’une génératrice, tous trois reliés à un différentiel.
Le moteur thermique fonctionne à une charge légèrement plus élevée que nécessaire et utilise ce surplus d’énergie mécanique pour charger les batteries, qui n’ont donc pas besoin d’être plantées sur une prise pendant la nuit comme celles d’un véhicule électrique.
Le système de gestion de la puissance fait fonctionner plus ou moins les deux moteurs et la génératrice afin d’optimiser le rendement global: ainsi, le moteur électrique assure le démarrage et le déplacement à vitesse réduite. Il est relayé par le moteur thermique dès que la demande d’accélération est forte.
Bien entendu, dès que l’accélérateur est relâché, le moteur thermique s’éteint et le frein moteur est assuré par la génératrice qui en profite pour recharger la batterie. De même, en actionnant le frein, c’est d’abord la génératrice qui fournit l’effort de freinage.
«C’est un moteur idéal si l’on roule beaucoup en ville, car le gain en consommation devient alors très important puisque le moteur à essence s’arrête à basse vitesse, explique Jean-François Menthonnex, conseiller technique au TCS. Mais comme les batteries alourdissent significativement l’engin, il consomme davantage sur autoroute, où le diesel devient alors compétitif. Je le recommande donc typiquement à quelqu’un qui habite la campagne et travaille en ville, par exemple.»
Particulièrement silencieux à bas régime, l’hybride diminue aussi la pollution sonore et améliore le confort des passagers. Par ailleurs, un moteur électrique délivre son couple maximal dès les premiers tours, ce qui dope l’accélération et améliore d’autant les performances.
C’est parce que les batteries sont lourdes et encombrantes que les moteurs hybrides deviennent particulièrement compétitifs sur des véhicules lourds, des 4×4 massifs ou de grosses berlines. En moyenne, si l’on compare un engin aux performances égales muni d’un moteur classique, même diesel, la consommation diminue de 30%.
Au chapitre des inconvénients, il y a le prix d’achat, environ 20% à 30% plus élevé que la moyenne, le manque de modèles disponibles, et donc les importants délais de livraison (quatre mois minimum pour une Prius ou une Lexus, plus de six mois pour une Civic).
«La complexité technique du moteur hybride doit aussi être considérée, ajoute Jean-François Menthonnex. Ce n’est pas un véhicule que n’importe quel garagiste peut dépanner. En cas de pépin, il faudra, plus souvent qu’avec un autre modèle, se faire remorquer jusque chez un concessionnaire qui maîtrise cette technologie.»
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Américains et Allemands mettent le pied au plancher
Il fallait vraiment que l’heure soit grave pour que ces trois-là se mettent à collaborer. Mais les géants de l’automobile n’ont aucune envie de voir Toyota s’imposer plus longtemps avec sa technologie hybride.
Le 14 août dernier, General Motors, DaimlerChrysler et BMW annonçaient une alliance inattendue: la mise en parallèle de 500 ingénieurs et un investissement commun de 1 milliard de dollars pour la mise en production rapide d’une nouvelle génération de moteurs hybrides. Un engin dont les performances dépasseront celles de Toyota, annonce le communiqué conjoint.
Si les frères ennemis se mettent à travailler ensemble, c’est bien parce qu’il s’agit de foncer. Car le marché dispose d’une fenêtre de tir de quelques décennies seulement, en attendant qu’arrivent d’autres technologies comme la pile à combustible.
Les moteurs hybrides issus de cette nouvelle alliance seront déjà intégrés dans des modèles 2008 aux Etats-Unis, et probablement dans un 4×4 Mercedes en 2009 en Europe.
Alliés avec les Américains, les constructeurs allemands mettent donc les gaz, tandis que les Français misent sur un moteur hybride électrique-diesel (HybrideHDi de Peugeot). De son côté, Renault n’a jamais vraiment cru à cette technologie. Son rapprochement avorté avec General Motors aurait, en ce sens, trouvé une certaine cohérence.
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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 12 octobre 2006