LATITUDES

L’infini parcours à travers les âges du chariot de supermarché

Du premier modèle de porte-panier, en 1936, au Caddie d’aujourd’hui, le principe n’a pas beaucoup changé. Les chariots sont sources d’innombrables questions, discussions, maladresses et accidents. Scientifiques et sociologues se sont penchés sur le sujet.

Bien que je conduise de tels véhicules depuis des années, je continue à avoir régulièrement des collisions. Pour détendre la situation, j’essaye alors de m’en tirer avec un désinvolte «Je n’ai pas encore mon permis!». J’effectue aussi des dérapages en rien contrôlés. La marche arrière et le demi tour, j’évite. Pour me rendre dans les allées étroites, je préfère laisser en plan mon engin aux doubles roues directionnelles à l’avant.

Oser parler de ma relation difficile avec les chariots de supermarché m’a permis de découvrir avec soulagement que je ne constitue en rien une exception. Chacun a ses reproches à leur adresser: perte de temps dans des recherches vaines de pièces de monnaie (certaines clés de voiture, forcée dans la fente, font paraît-il l’affaire), difficulté à les extraire de la file, taille surdimensionnée, expérience de décharge électrique lors du premier contact, bleus dans les tibias, difficulté à garder sa dignité en jeans à taille basse lorsqu’à la caisse on tente d’attraper des produits qui sont à l’avant du chariot…

Quant aux accidents, en 2005, plus de 20’000 enfants âgés de moins de cinq ans sont arrivés au service des urgences suite à une chute de chariot. 79% d’entre eux souffraient de blessures à la tête ou au cou.

Les Caddies n’ont vraiment rien de géniaux mais bénéficient du principe du «path dependence», bien connu dans l’économie de l’innovation. Il affirme que des solutions techniques qui ne sont pas forcément les meilleures peuvent néanmoins s’imposer et résister longtemps tout simplement parce qu’elles sont plus répandues que d’autres, même meilleures. Les millions d’exemplaires déjà vendus rendent le marché quasi inattaquable.

Catherine Grandclément et Franck Cochoy viennent d’illustrer cette théorie en ce saisissant de cet objet immuable depuis plus d’un demi siècle que représente le chariot de supermarché. On peut lire leur «Histoire du chariot de supermarché ou comment emboîter le pas de la consommation de masse» dans la revue «Vingtième Siècle» (no 91) et comprendre comment dynamique des innovations et consommation de masse se soutiennent mutuellement.

L’histoire du chariot s’articule en trois histoires. La première histoire est celle du chariot des origines (1936): un «porte-panier» dérivé d’une chaise pliante imaginé par l’épicier Sylvan N. Goldman de l’Oklahoma. On pouvait y disposer deux paniers métalliques superposés ce qui donnait à penser que les clients faisaient ainsi deux fois plus d’achats.

La seconde histoire est celle du «chariot télescopable»: un chariot à charnière et porte battante inventé par un dessinateur industriel du Kansas, Orla E. Watson pour permettre l’emboîtement des chariots au repos (1946). Plus besoins d’un employé pour plier et déplier les chariots et ranger les paniers. Le client se chargeait lui-même de désencastrer et de ranger l’engin.

La troisième est celle du chariot d’aujourd’hui, tel qu’il a pris forme dans le procès en paternité qui opposa Goldman et Watson, autour du brevet des «telescoping shopping carts» (1947-1949).

Pour ce qui est de son appellation, Caddie est une marque déposée depuis 1952. Le dictionnaire le présente comme «un petit chariot métallique (fabriqué par la firme ayant déposé cette marque) pour transporter les denrées dans les magasins à libre-service, les bagages dans les gares ou les aéroports (Le Grand Robert). Aux USA, on parle aujourd’hui de shopping cart, en Grande-Bretagne de trolley, en Allemagne d’Einkaufswagen.

Le Caddie est devenu l’objet emblématique par excellence de la consommation de masse. Sur le web, la notion de passer commande n’est–elle pas symbolisée par un chariot? En France et en Belgique, le suranné «panier de la ménagère» utilisé pour fixer l’indice des prix à la consommation a été remplacé par le «chariot type».

Et le chariot de demain? Il est déjà testé outre-Atlantique. On ne le guidera plus, muni d’un GPS, c’est lui qui nous pilotera vers les rayons en fonction de la liste de nos courses.

Les réflexions en cours portent toutes sur des développements informatiques complexes et laissent en rade les améliorations souhaitées par des consommateurs désireux de manœuvrer des caisses métalliques plus jouissives, rappelant les paniers de grand-mère tapissés de tissus fleuris.