Puisque la présidence donne parfois des ailes, l’impétueuse Calmy-Rey pourrait faire abondamment parler de la Suisse. On peut craindre le pire — ou penser que c’est le bon le moment pour corriger l’image désastreuse d’un pays fermé et arrogant.
Elle n’en a pas l’air, mais elle n’est, après Ruth Dreifuss, que la deuxième présidente de l’histoire de la Confédération. Toujours deux de plus que la France.
Mal élue certes (seul Pilet-Golat avait fait pire en 1939, c’est dire), voilà donc Micheline 1ère couronnée. Sonnez trompettes. Certains pourtant craignent le pire: en quatre ans, Calmy-Rey a multiplié les initiatives souvent intempestives, piétinant largement, à la fureur des bouèbes de l’UDC, le sacro saint principe de neutralité, et l’appelant, après l’avoir réduit en bouillie, «neutralité active», un oxymore, puisque c’est la mode en ces jours de «rupture tranquille».
Mais, bon, là, elle n’était que ministre des Affaires étrangères. Quand on sait que parfois, la présidence donne des ailes — personne n’a oublié le discours enflammé sur les droits de l’homme du falot Samuel Schmid à Tunis et à la barbe du glabre «démocrate» Ben-Ali –, on peut s’attendre à tout.
A ce que par exemple l’impétueuse Micheline mette le feu au Proche-Orient, dicte la politique étrangère américaine, libère l’Irak et l’Afghanistan, engage la troupe pour défendre ou attaquer le nucléaire iranien (c’est encore à voir, sur ce sujet, même Ségolène patauge), décrète, par oukase, l’adhésion immédiate de la Suisse à l’Union européenne et au Conseil de sécurité de l’ONU, s’écrie, d’une tribune balkanique: «vive le Kosovo libre!» ou devant un aimable parterre de kamikazes palestiniens : «Je vous ai compris».
D’ailleurs, même dans son propre camp, on ne se montre pas complètement euphorique. Ainsi le conseiller national valaisan et néanmoins socialiste Stéphane Rossini estime-t-il que, « formidable aux affaires étrangères », Dame Calmy n’en ferait pas assez sur le front intérieur (ce n’est pas son boulot, notez) et particulièrement sur les questions chères aux camarades «comme la politique sociale et sanitaire».
D’autres, toujours dans le cercle rouge, aimerait la voir, comme la genevoise Maria Roth Bernasconi, prendre la tête de la fronde anti-Blocher au Conseil fédéral, fronde tenue comme on sait par Pascal Couchepin et revendiquée depuis peu par Leuenberger.
Les autres — tous les autres — se félicitent au contraire que Cruella s’en tienne à son département, où le président du PDC Christophe Darbellay la trouve, lui aussi «formidable» — avec un perfide petit bémol: «formidable mais un peu égocentrique», parole d’expert. Même l’UDC par son président Ueli Maurer la juge «efficace et charmante» et lui pardonnerait presque, à l’heure des bouquets officiels, de «mettre la neutralité en péril».
Seul le patron des radicaux Fulvio Pelli se montre plutôt mauvais joueur et avare de compliments. Pour lui, elle n’est qu’ «assez bien». Le Tessinois affirme même, un peu contre l’évidence, que cette fameuse visibilité que Calmy-Rey aurait donnée à la politique étrangère de la Suisse serait surtout visible… en Suisse.
Alors que des journaux comme Le Monde et The Guardian lui tressent de longues couronnes et que Javier Solana, le chef de la diplomatie européenne, confesse «son admiration». Il faut dire Micheline Calmy-Rey a engagé un ancien porte-valises de Couchepin, le journaliste Raphaël Saborit, pour ne l’occuper qu’à une seule tâche: vendre l’image de la ministre à l’étranger.
C’est d’ailleurs un peu son péché mignon à notre nouvelle présidente: caresser la bulle médiatique et l’air du temps dans le sens du poil. Avoir été la seule ministre des affaires étrangères européenne à condamner fermement l’intervention israélienne au Liban était peut-être louable, mais au vu de l’opinion majoritaire et internationale, ça ne mangeait que bien peu de pain et ne débouchait que sur un seul résultat concret: faire savoir au monde entier que Micheline Calmy-Rey était dotée d’une belle âme.
Après, pourtant, toute une cohorte de présidents fantômes, après les enthousiastes félicitations de Jörg Haider et de Jean-Marie Le Pen que nous a valu la franche adoption des lex Blocher, avec, en sus, une Union européenne lasse de voir ses plus gras contribuables venir transpirer leur graisse dans nos accueillants cantons, s’offrir, pendant toute une année, une présidente «visible et admirée», ne sera sans doute pas du luxe.
