KAPITAL

Calida reprend le dessus

Malgré l’annonce de la délocalisation d’Aubade, la stratégie du groupe suisse, contestée notamment par Ségolène Royal, porte ses fruits. La nouvelle image de Calida fait oublier les pyjamas à papa.

Véritable petite ville dans la ville, en bordure des voies de chemin de fer, le siège de Calida, à Sursee (LU), un complexe industriel en tôle ondulée – jaune évidemment – impressionne par son ampleur. Au point que les employés semblent presque éparpillés, à l’image de cette réceptionniste égarée dans l’immensité du hall d’entrée. C’est que, depuis la restructuration survenue en 2001, les effectifs du fabricant de sous-vêtements ont fondu, passant de 1300 à moins de 700 personnes, et l’usine de confection flambant neuve demeure déserte.

Une rationalisation accomplie par Felix Sulzberger, CEO du groupe depuis 2001, un coupeur de têtes d’humeur joviale et sereine, qui s’exprime dans un excellent français depuis qu’il a passé une quinzaine d’années en Suisse romande, notamment à la direction de Philip Morris à Lausanne.

Même les déclarations de Ségolène Royal qui soutient les ouvrières françaises d’Aubade – filiale de Calida depuis l’an dernier – contre son plan de délocalisation en Tunisie ne le départissent pas de sa bonne humeur: «Mme Royal s’érige contre notre plan parce qu’elle doit se positionner en faveur de son électorat de gauche», constate-t-il simplement, un sourire presque narquois au coin des lèvres.

Ce quinquagénaire, aussi décontracté que pragmatique, ne doute pas du bien-fondé de ses méthodes drastiques. Les trois mois de prorogation arrachés par la candidate socialiste ne changeront vraisemblablement rien à l’affaire: «Pour gagner en compétitivité, Aubade doit absolument évoluer. Au cours des deux derniers exercices, et cela en dépit d’une image fabuleuse, la marque a perdu en rentabilité. La famille Pasquier (propriétaire de la marque) avait entrevu cette érosion, raison pour laquelle elle a cherché un repreneur.»

Ne reste aux ouvrières menacées que leur ironie qu’elles dirigent contre la prétendue imposture du label made in France des produits Aubade, fabriqués en Tunisie. Felix Sulzberger repousse cette critique sans ciller. «Les 80% des coûts d’un produit Aubade sont français. La coupe, le développement et la méthode viennent du Poitou. Les matériaux sont européens, les broderies saint-galloises. L’assemblage tunisien n’a quasiment aucune influence sur la qualité du produit fini, même s’il s’agit de la dernière étape du travail.»

Aubade traverse les mêmes difficultés que la plupart des grandes marques de lingerie européenne, à l’image de Calida, quelques années plus tôt. A l’arrivée de Felix Sulzberger à la tête du groupe en 2001, l’entreprise venait d’enchaîner trois exercices déficitaires. Ses pertes, qui dépassaient les 40 millions en 2001, l’avaient conduite à deux doigts du dépôt de bilan.

Dans un milieu de gamme très concurrentiel, les seules qualité et savoir-faire suisses n’appâtaient plus le chaland. La marque sentait la naphtaline face au marketing juvénile et insolent de Calvin Klein ou de Dim, qui s’imposaient dans les années 90 auprès des jeunes.

Le premier réflexe du chef d’entreprise a été de faire baisser les coûts de production en déplaçant l’ensemble de la confection en Inde, en Hongrie et au Portugal, au prix d’une restructuration massive. Dans le même temps, l’entreprise abandonnait son modèle économique familial pesant pour un actionnariat institutionnel composé d’investisseurs suisses et étrangers. «Jacob Kellenberger (un héritier du fondateur, ndlr) ne détient plus que 30% des actions. Cette dilution nous a permis d’engranger de l’argent frais tout en conservant une base traditionnelle stable. C’est la configuration idéale.»

La marque a également inauguré une nouvelle stratégie commerciale pour lutter contre la déferlante de textile chinois depuis la levée des quotas à l’exportation. «Nous avons favorisé l’ouverture de franchises à notre nom car nos espaces de vente ne cessaient de rétrécir. Les grandes surfaces comme Manor évincent les marques traditionnelles pour mettre davantage leurs propres labels en avant dans leurs rayons. Cette verticalisation du marché, avec des marques à la fois productrices et commerçantes, est une conséquence directe de la fin des quotas à l’exportation. Elle a été fatale à de nombreux petits commerçants qui écoulaient nos produits.»

Le dumping sur les prix de ces cotonnades asiatiques aurait aussi induit de nouvelles habitudes de consommation. «La tendance s’oriente vers des produits bon marché, dans les grandes surfaces ou les chaînes de prêt-à-porter qui s’approvisionnent sans limite. La clientèle hésite à acquérir des articles plus luxueux.»

Le système de franchise qui fait peser sur les épaules du franchisé l’essentiel des risques commerciaux a offert une visibilité optimale à la marque lucernoise. Difficile désormais de rater le logo jaune et noir présent en plusieurs répliques dans nos villes. Un ressort qui favorise la vitalité comptable présente de l’entreprise qui écoule déjà 30% de sa marchandise avec ses franchises. «En 2005, nous avons augmenté notre chiffre d’affaires pour la première fois depuis longtemps et les perspectives pour cette année paraissent excellentes.»

Calida dégageait un bénéfice net de 3,6 millions de francs au premier semestre 2006 avec une marge brute en-core timide de 8%. Elle confirme néanmoins les prévisions de l’état-major de Sursee qui annonçait 46% de progression d’ici à 2008 au moment du rachat d’Aubade. Alain Oberhuber, analyste financier à la banque Vontobel à Zürich, salue la croissance du groupe: «Sur un marché en stagnation, Calida parvient à augmenter de 2-3% son chiffre d’affaires, c’est le signe d’une entreprise dynamique. Pour améliorer sa marge, l’entreprise doit encore faire baisser ses coûts de production, achever la délocalisation d’Aubade en Tunisie, intensifier l’outsourcing en Asie.» Le genre de nouvelles qui motiverait les investisseurs frileux, alors que le cours de l’action Calida campe sur ses positions cette année.

Pour Felix Sulzberger, le redressement comptable de Calida découle du rajeunissement entrepris au niveau de la communication. «Les nouvelles campagnes dépoussièrent l’image pyjama de papy peu en phase avec notre assortiment orienté vers la lingerie de jour.» Et les fruits de ce travail se récoltent surtout à l’étranger. «Là où notre image antérieure était plus diffuse, donc plus rapide à moderniser.» La marque figure déjà dans les trois plus grandes marques de sous-vêtements en Allemagne, et ouvre de nouvelles enseignes en Scandinavie, en Italie et au Benelux, autant de marchés en croissance.

Les récentes campagnes publicitaires de Calida ne portaient délibérément que sur la ligne Just Feel, en dépit des maigres 7% de volume qu’elle représente dans le chiffre d’affaires global de la marque. «Il fallait absolument présenter la ligne la plus jeune afin de montrer que nous faisons autre chose que des pyjamas, un secteur qui ne concerne que 40% de notre activité.» Et Calida n’a pas hésité à taper dans le sexy. D’abord avec une brunette pâle et alanguie dans des poses suggestives puis, pour la nouvelle campagne d’affichage, sous les traits d’un mannequin de couleur qui tranche avec l’indécrottable suissitude de la marque.

Etienne Francey, directeur de l’agence de publicité genevoise Etienne & Etienne, regrette qu’on ne distingue qu’à peine les produits sur ces affiches. «Ils disparaissent complètement derrière les poses, c’est à se demander ce qu’ils ont à vendre.» Après les formidables efforts consentis pour transformer son rafiot en une formule un économique, la marque semble manquer encore de souffle créatif. Elle qui a marqué des générations d’enfants avec ses pyjamas qui ne remontent pas et ses slips en éponge dans les années d’après-guerre peine à retrouver un classique fort qui lui assure des ventes substantielles. «Calida doit davantage miser sur l’inno-vation de produits pour augmenter sa croissance», insiste Alain Oberhuber.

Le genre d’impératif dont le CEO est parfaitement conscient. «Le principal problème de Calida concerne les ressources humaines. Il est difficile de recruter en Suisse du personnel compétent et formé dans les domaines du textile et de la mode.» Voilà peut-être un secteur dans lequel Aubade pourrait lui donner quelques leçons.

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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 14 décembre 2006